Du côté de chez Swann : Le livre de Marcel Proust

Première découverte de Marcel Proust, avec qui j’ai développé une relation étrange, un peu toxique : je l’admire d’une part, et il m’énerve un peu de l’autre. L’écriture de Proust alterne entre des moments magnifiques, qui recherchent à faire ressentir au lecteur les beautés des instants retrouvés par la mémoire, comme le célèbre passage de la madeleine ; le lecteur partage les souvenirs de ses fantômes : Odette, Swann, Gilberte, fantômes qui feront partie à leur tour de sa mémoire, où il conservera une émotion pure. L’ouvrage est assez gâché par un manque de mesure de Proust : ce n’est pas le seul auteur à faire des phrases longues, ce qui le distingue, ce sont ses ambiguïtés grammaticales et une lourdeur qui peut parfois empiéter sur la beauté de ses phrases.

Difficile de rajouter des commentaires sur ce roman qui a fait l'objet de nombreuses analyses par de bien plus savants que moi. Proust explore dans ce premier opus de La Recherche du Temps Perdu le travail de la mémoire par les reminiscences provoquées par les sensations (les fameuses madeleines). Il raconte ainsi son enfance à Combray, ainsi que ses sorties aux Champs Élysées. Il raconte aussi les amours de Swan pour Odette de Crécy si socialement discutables. Proust en profite pour écorner les travers de la société bourgeoise et aristocratique du XIX° siècle ce qui lui donne l'occasion de déployer un humour féroce et mordant. Bien sûr, le texte et la langue de Marcel Proust ne sont pas toujours d'un abord aisé. Il faut savoir lâcher prise et se laisser porter et pénétrer par le rythme des phrases comme par un ressac. Quand on y arrive : que du bonheur !

J'ai eu la chance, dans mon édition, d'avoir une critique de l'époque, expliquant que le jeune Proust ferait mieux d'épurer son style pour rendre son propos plus direct et, conséquemment plus captivant. Mais ce serait comme dire à Lionel Messi d'arrêter de dribbler, à Zweig de cesser de s'épancher sur les descriptions des caractères humains, à Van Gogh qu'il gagnerait à ne plus faire de coups de pinceaux brusques! Alors certes, Proust aurait pu écrire 100 pages de plus si son amie lui avait adressé la parole un 16 Novembre dans ce parc des Champs-Élysées, mais quelle justesse dans ses descriptions. L'auteur cherche, dans son enfance, les moments qu'il associe à des lieux, des odeurs, des goûts, et nous cherchons avec lui. Et quel plaisir quand, dans un détour, il décrit un évènement, un rituel, une habitude que nous avons nous même vécu ou que nous avons, avec une précision troublante!

J'ai essayé plusieurs fois au cours de ma vie de lire ce livre. La première fois, j'ai eu du mal avec le style, décidant que tout était "trop long". La seconde fois, plusieurs années après, ce style qui m'avait fait fuir m'a séduite, mais le récit lui-même m'a fait abandonner, parce qu'il ne m'intéressait pas". Je ne sais pas pourquoi, après autant de temps, j'ai décidé de réessayer (sans grand espoir). Peut-être, car ça fait un petit moment que je découvre ou redécouvre des œuvres et des autrices/auteurs que j'ai délaissés. Toujours est-il qu'il y a peu, j'ai décidé que c'était au tour de Proust d'avoir une autre chance. Et j'ai bien fait ! Je serais passé à côté d'une expérience singulière et difficile à décrire sinon.  J'ai adoré la première partie. Les premières pages, j'avais encore en tête mes opinions passées et donc je peinais à me laisser complètement aller, mais très vite, j'ai été emportée. Cette fois-ci, la plume et le contenu ont formé un tout qui m'a presque hypnotisée. Normalement, ma vision de l'enfance et ses souvenirs sont comme dans la chanson de Barbara et j'ai tendance à ne pas vouloir y retourner. Sans compter que de la mienne, je ne garde rien ou quasiment rien, ma mémoire ayant effacé une large partie. Mais lors de ma lecture, j'ai eu l'impression de retrouver des sentiments personnels, intimes même.  Pour Swann et Odette, j'avoue que la plénitude n'était pas là. Ce qui est normal, vu que ça n'avait rien à voir. Malgré ça, j'ai beaucoup apprécié d'abord, avant de finalement trouver ça trop long. Et quand je dis trop long, je veux dire par rapport à mon intérêt pour cette relation. J'ai fini par avoir hâte d'en "venir à bout", comme d'une corvée à finir pour pouvoir passer à la récompense. Mais, peut-être, car justement Swann et Odette m'avaient fatiguée, la dernière partie ne m'a pas permis de retrouver la magie de la première. Je n'étais pas en condition pour apprécier réellement un autre amour à sens unique.  Je pense que, plus généralement, je ne suis pas sensible à la manière dont Proust parle d'amour (romantique), mais peut-être à l'avenir va-t-il me prouver, une fois de plus, que j'ai tort.