La ballerine de Kiev : Le livre de Stéphanie Perez

Un couple d’étoiles. Un pas de deux à la ville et sur scène. Une guerre et des échappés chacun de son côté. Pour l’un ce sera le front, pour celle qui porte la moitié de son cœur, ce sera la résistance. Continuer à danser pour deux, continuer à faire vivre l’art malgré les bombardements, la faim et le froid, continuer à transmettre de la joie, continuer à mettre sur le devant de la scène, le ballet de l’Opéra national de Kiev. Svitlana et Dmytro ont dansé ensemble pour la dernière fois, le 24 février 2022. Les bombes se sont ensuite abattues sur l’Ukraine, soufflant leurs costumes de danse, les toits de leur proche et les vies. Pour Dmytro, il n’y a aucune hésitation. Il s’engage dans l’armée. Il ira défendre son pays. Il a appris à danser, il apprendra à combattre. Pour Svitlana, il lui faut d’abord cohabiter avec la peur et la colère, puis avec la solidarité et la résistance. Elle s’engage d’abord pour apporter son aide dans la prise en charge des blessés, puis elle retourne sur scène pour résister. Chacun va mettre son corps à l’épreuve, ce corps qui était leur outil de travail, devient leur moyen de se défendre, de défendre l’Ukraine. Chacun va apporter sa contribution que ce soit sur les champs de batailles, auprès des blessés, des rescapés ou du peuple. Par un sourire, une arabesque, rallumer les étoiles dans les yeux des victimes. Svitlana et Dmytro. Un couple d’étoiles. Un couple de résistants. Ils représentent les femmes et les hommes que l’auteure a rencontrés pendant son métier de journaliste. Tous ces hommes et ces femmes qui se sont engagés, qui ont apporté leur aide pour sauver leur pays. Il y a le courage et la force de tous ceux et celles qui se battent au quotidien. Un roman d’une très grande force, qui montre à la fois la violence mais également la beauté de l’humain. Il y a de très belles pages sur la fraternité, la solidarité et le pouvoir de l’art. Une histoire qui se lit d’un souffle. De l’amour, de la résistance et des ballets. Un cri de liberté pour un magnifique pas de deux.

Un roman bouleversant qui met en avant le cauchemar quotidien de la population Ukraine, ainsi que l’incompréhension et la déconnection de la réalité du peuple russe : « C’est du trucage, ce n’est pas possible. Méfie-toi de la propagande de ton gouvernement. » dit Ludmila depuis Saint Petersbourg à Svitlana. Des passages très durs, qui montrent le dévouement et le soutien des ukrainiens entre eux pour affronter l’horreur, et des passages très beaux et très forts, qui mettent en avant la force et le pouvoir de l’art et de la culture, à travers cette superbe discipline qu’est la danse classique, ce qui, en tant que danseuse, m’a beaucoup touché, émue, fait vibrer.

De Stéphanie Pérez, j’avais déjà beaucoup aimé "Le gardien de Téhéran". Je viens de terminer son deuxième roman, "La Ballerine de Kiev", et je l’ai encore davantage apprécié. A travers ces deux romans, la journaliste de France 2, grande reporter de guerre, dévoile un nouveau talent : celui de grande auteure. Elle nous raconte l’histoire de Svitlana et Dmytro, danseurs étoiles à l’Opéra national de Kiev, amoureux à la scène, comme à la ville, mariés et heureux jusqu’à ce que…le 24 février 2022, leur vie – et celle de millions d’habitants – bascule. Et à travers ce récit, elle rend hommage à tous ces civils qui, face à l’envahisseur, vont choisir de combattre d’une manière ou d’une autre. C’est ainsi que Dmytro "…se découvre patriote, prêt à tout, même à mourir pour sauver sa jeune nation tournée vers la modernité et la démocratie…fier de son Ukraine, de sa langue, de sa culture. Quelle ironie de la part d’un gars qui n’a pas hésité à payer des pots-de-vin pour éviter le service militaire…" Tout est dit. Ce roman est une merveille d’écriture, fine, légère, élégante, et d’une grande simplicité qui rend la lecture fluide et passionnante. Il est une merveille d’équilibre qui alterne l’horreur de la guerre décrite sans ménagement et la beauté de la danse délicatement brossée dans ses moindres détails. Il résume, sans le moindre jugement, l’attitude des citoyens, tantôt lâches et pressés de quitter le pays, tantôt courageux et prêts à tout pour le sauver à l’image de Dmytro. Il dépeint les zones de combat dans leur atrocité, faites de bombes destructrices, de soldats apeurés, de corps torturés. Il est visiblement le fruit de l’œil acéré de la journaliste en mission sur le front. Ce roman interroge aussi sur la symbolique de l’art en termes de résistance. Quand l’Opéra national décide de se produire à nouveau, la question se pose de la pertinence mais "Dans le spectacle de la guerre, avec les autres danseurs, elle (Svitlana) s’apprête à jouer…aux avant-postes de la bataille pour l’identité et la culture nationale. Leurs pointes seront devenues leurs armes, leur tenue de scène leurs uniformes." "La ballerine de Kiev", un très beau roman, émouvant, aux personnages attachants, mais aussi une chronique de la vie quotidienne des Ukrainiens sous les bombes de "… celui qui se prend pour le nouveau tsar russe…"

[masquer]Plongée dans l’Ukraine des premiers jours de guerre à travers Svitlana et Dmytro, étoiles de ballet dont la vie bascule. Une écriture viscérale, un roman bouleversant qui explore l’art face à la barbarie. Un roman poignant coup de cœur. [/masquer]