La Naissance des choses : Le livre de Lucrèce
Sauf deux ou trois choses mineures, on ne sait rien de Lucrèce. On ne connait de lui que son immense poème philosophique, et encore. Car ces 7415 vers n'ont jamais été traduits en français autrement qu'en prose ou en alexandrins. C'est dire si l'on perd leur saveur et leur génie. Cette édition établie par Bernard Combeaud propose la première traduction respectueuse de la métrique latine choisie par le poète-philosophe. Lucrèce ne s'est pas contenté de formuler en vers la pensée d'Épicure comme il est souvent prétendu. Les Romains n'étaient pas des balourds incapables d'accéder aux concepts grecs : il se moquaient des élucubrations hellénistiques et n'ont jamais cru que la philosophie fut un art de compliquer le monde pour mieux le fuir au profit des idées. Les philosophes romains préféraient une sagesse pratique, praticable, édifiante, existentielle. Chez eux, on entretient concrètement de la vie et de la mort, de l'amour et de l'amitié, des femmes et du plaisir, de la souffrance et de la vieillesse, de la richesse et de la frugalité pour vivre sa vie et non se contenter de la penser. Lucrèce construit un monde de matière avec des atomes qui tombent dans le vide, il n'y a rien d'autre et tout en découle : les dieux existent, mais ils n'ont que faire des hommes. Dès lors, la vie est faite pour le bonheur. La mort n'est pas à craindre, elle n'est que désorganisation puis réorganisation de la matière. Il n'y a pas d'arrière-monde, la religion est une superstition. Le plaisir est le souverain bien à viser. Ce poème contient une infinité de propositions éthiques et morales qui permettent de mener une vie philosophique en général et une vie épicurienne en particulier.
De (auteur) : Lucrèce
Traduit par : Bernard Combeaud
Préface de : Michel Onfray
Expérience de lecture
Avis Babelio
clesbibliofeel
• Il y a 2 ans
Écrire une chronique sur Lucrèce n'est pas une chose simple pour moi. Pourtant j'y pense depuis que ce blogue existe. Mon édition en Livre de poche a commencé à jaunir (cela marque le temps comme les cernes du bois...). Et je ne compte pas faire une copie du livre, comme devaient le faire les moines à cette époque... Copies qui ont permis de sauver l'oeuvre, l'original ayant été perdu. le récit ne cadrant pas avec l'idéologie dominante, peu d'efforts semblent avoir été déployés pour le conserver. Il faut dire que les thèses avancées par ce poète philosophe ou philosophe poète, – difficile de donner une priorité à l'un ou à l'autre tellement le personnage est inclassable et mystérieux –, sont en totale rupture avec les croyances officielles. Tout a commencé avec Épicure (philosophe grec ayant vécu de 342 av. J.-C. et mort en 270 av. J.-C). Pour la première fois un penseur avait osé regarder la nature pour l'affronter d'une autre manière que par la « pensée magique », trouver les principes de toutes choses en dehors de l'explication religieuse, se libérer de la peur pour atteindre une forme de vie heureuse en tenant la crainte à distance... Au passage, n'est-ce pas toujours d'actualité ? En le traduisant à sa manière plusieurs siècles après, du grec au latin, Lucrèce est le passeur essentiel et habile de la pensée d'Épicure, les écrits de celui-ci ayant presque totalement disparus.... Je ne conseille pas de lire l'introduction que j'ai trouvée curieusement bien moins abordable que le texte... Ainsi nous parvenons d'emblée à la page 79. Pourquoi cette mise à distance philosophique savante alors que le poème se lit facilement, expliquant implicitement qu'on a tous besoin – pas seulement les étudiants – de philosophie, de beauté par l'art, de culture pour atteindre une forme de sérénité et de bonheur ? Quelques-uns des thèmes principaux parcourant ces six chants : L'intuition scientifique. Dans la pensée épicurienne et la forme particulière qu'elle revêt chez Lucrèce, l'intuition précède la connaissance, intuition émergeant à partir de l'observation. Plusieurs siècles avant notre ère, des hommes avaient appréhendé l'univers, que le grand tout était, en dépit des apparences, fait en grande partie de vide. Ils avaient imaginé les petites briques spécifiques de matières, leurs combinaisons communes aux hommes, aux animaux (mis sur le même plan que l'homme), aux objets et à toute la nature. Ils les avaient nommés atomes, termes qu'ils nous ont légués ! Et tout cela en observant les grains de poussières dans les rayons du soleil (repris au premier atomiste, Démocrite, 4ème s. av. J.-C). Bien d'autres observations passionnantes sur les nuages, le tonnerre, les tremblements de terre sont présentes sous une belle forme poétique. Je ne développe pas la notion de clinamen, celle-ci ayant fait couler beaucoup d'encre. Des débats qui m'ont toujours étonné car que dit Lucrèce sinon qu'il n'y a pas prédestination au mouvement. Avec le clinamen il introduit une variation à laquelle j'associe les mutations de la vie, la non répétition des choses à l'identique, jamais... La poésie. Différents chants commencent par Vénus, par l'amour que le poète présente dès le chant I, avant les atomes, avant l'univers et en cela je lui donne raison car que serait la science pour l'homme sans l'amour... – voilà pourquoi ce titre sera classé en poésie sur ce blogue. Cette forme poétique de philosophie a peut-être sauvé l'oeuvre et l'homme ? Giodarno Bruno aura moins de chance, reprenant les thèses de Lucrèce, il sera brûlé à la fin du XVIe siècle. Pas facile la vie de précurseur ou d'artiste sincère ! La philosophie. Est mis en avant l'importance de la nature, le refus de l'éthique de la souffrance rédemptrice et éducative, l'art de penser par l'imagination. C'est l'homme rationnel réunissant la science cosmique et la sensibilité artistique. Lucrèce indique l'utilité de penser de concert la science, la philosophie et l'art sous toutes ses formes. L'art de vivre est aussi abordé de belle manière : Le chant III est consacré au corps, à la mortalité de l'âme et à la peur de la mort. La charge contre les excès de la religion est forte et n'a pas d'égale dans toute l'Antiquité. N'oublions pas que Lucrèce vit à une époque de guerres civiles féroces tout comme un fervent admirateur lointain, Michel de Montaigne. L'humour. Lucrèce pratique l'art de la réfutation par l'absurde et j'ai trouvé souvent cela très drôle. Ce n'est pas usurpé de parler d’œuvre totale ! Influences. Cette oeuvre a permis de diffuser la pensée d'Épicure dont les écrits ont en grande partie disparu. Elle a influencé nombre d'écrivains et de philosophes dont Michel de Montaigne. On en retrouve les vibrations sensibles chez Jean de la Fontaine, Molière et bien d'autres que je ne peux pas tous citer ici et qui s'en sont inspirés. Montaigne le cite abondamment dans Les Essais. Molière aurait traduit Lucrèce ? Des thèses argumentées, sérieuses, ont retrouvé le poète latin à travers la dénonciation de l'hypocrisie et de la superstition (Le Tartuffe, le Misanthrope...). Je pense pour ma part au phrasé chantant particulier d'André Comte-Sponville, dont la philosophie puise abondamment dans Épicure, Lucrèce, Montaigne. Biographie en quelques mots. Consigne très facile à respecter : on ne sait pratiquement rien de sa vie ! Il serait né en 98 av. J.-C. et mort en 55 av. J.-C. Les informations nous sont parvenues par saint Gérôme (fin IVe – début Ve siècle) affirmant que Lucrèce aurait été précipité dans la folie par un philtre d'amour, après avoir écrit quelques livres dans des périodes de lucidité – livres que Cicéron corrigea --, qu'il se serait tué de sa propre main à l'âge de 43 ans. C'est bien peu et très dévalorisant pour un auteur qui n'était pas, malgré sa valeur artistique et scientifique, en odeur de sainteté. Cette chronique sur un livre placé tout en haut de ma PLE (pile des livres essentiels...) est terminée. J'espère qu'elle donnera à quelques lecteurs, qui ne connaissent pas ce chef-d'oeuvre, l'envie de le découvrir, ne serait-ce que par bribes, ce qui est tout à fait possible, chaque chant étant précédé d'une page de présentation des sujets abordés ainsi que les numéros des vers concernés. Les six chants de Lucrèce sont plus courts qu'il n'y paraît lorsqu'on enlève l'introduction et en ne lisant que les pages de droites... sauf les férus de latin qui ne sont plus aussi nombreux que les légions romaines ! Certains avis m'étonnent en voyant un texte pessimiste... Il est vrai que la fin du sixième et dernier chant Origine et causes des épidémies est uniquement descriptif, on y sent un désarroi quant à des explications impossibles à imaginer à cette époque. L'atome a été pensé, nommé, alors qu'il faudra encore des siècles pour faire de même avec les virus et bactéries. Texte pessimiste alors qu'il développe une pensée permettant de dépasser les peurs vaines ? Ce n'est pas ma lecture, bien au contraire, et je serais curieux d'avoir votre avis si vous avez lu ou comptez lire ces poèmes philosophiques ou cette philosophie poétique... ****** Retrouvez cette chronique avec les illustrations sur Bibliofeel, lien ci-dessous
balarasse
• Il y a 3 ans
Ce livre a été beaucoup plus facile et agréable à lire que je le pensais. Bien que ce soit un pavé écris en vers, je l'ai dévoré. Ce traité de philosophie épicurienne ne s'intéresse qu'à la physique de cette doctrine. Le seul enseignement pratique qui en découle est l'absence de dieux et qu'il ne sert donc à rien de les craindre ou de les flatter. Concernant la mécanique du monde qui y est décrite, il y a à la fois des descriptions étonnamment proches de la réalité (atomes, astres, matière) et d'autres complétement ridicules au regard de nos connaissances actuelles (terre plate, explication des 5 sens). La logique et la rigueur de réflexion sont impressionnante pour l'époque. Cet ouvrage dégage un certain fatalisme avec sa vision du monde matérialiste dans lequel il n'y a pas de divin, tout s'étiole et se décompose, la mort est inéluctable et éternelle, le monde est fini et périssable. C'est froid mais c'est beau, propre et cohérent.
Noetique01
• Il y a 3 ans
Lucrèce semble plus épais que son maître pour le lecteur moderne biaisé par les archives. Ce même lecteur qui devrait aimer ce mélange entre poésie et ce qu'on nomme aujourd'hui essai philosophique, tout en n'étant point de la pensée magique et rationnellement inexploitable. Un classique, de toute manière.
lebelier
• Il y a 3 ans
Lucrèce, en un long poème philosophique, explique le monde, la physique, les dieux et les phénomènes naturels. Écrit en vers latins à l’époque de Cicéron, « de la nature » ou plus exactement « De Rerum Natura » c’est-à-dire, « de la nature des choses », le poème passe au crible la théorie atomiste d’Épicure, reprenant à son compte sa philosophie, ainsi qu’il décrit les réactions des hommes sur la vie, la mort et les dieux qui ne s’occupent pas–toujours selon les épicuriens–des affaires humaines, vivant dans une sorte de monde parallèle. Lucrèce pose des théories sur le mouvement des astres, la place du soleil, de la Lune par rapport à la terre etc. Ce sont six livres avec chacun un développement. On commence par la création du monde : des atomes qui se sont associés (les fameux « atomes crochus ») puis on continue sur le mouvement de ses atomes, l’existence humaine, les sens et les plaisirs de la vie, la mort qu’on ne doit pas craindre, l’âme qui ne peut subsister sans le corps (anima : souffle de vie) et enfin sur les phénomènes naturels tels que les orages, les pluies et les tremblements de terre. Le poète finit sur les épidémies et la peste d’Athènes. Il est intéressant de voir ce que pensaient nos anciens de notre condition, de nos origines. L’observation seule permet cette somme de connaissances et, si l’on sourit quand Lucrèce parle des planètes, on salue cette vision apaisée de la mort.
Avis des membres
Fiche technique du livre
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- Genres
- Classiques et Littérature , Littérature Classique
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- EAN
- 9782382920534
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- Collection ou Série
- Bouquins La Collection
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- Format
- Grand format
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- Nombre de pages
- 896
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- Dimensions
- 199 x 133 mm
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29,00 € Grand format 896 pages