Interview
Interview croisée : Dany Rousson et Anne Michel
Publié le 23/05/2024 , par Presses de la Cité

Vous avez en commun le Sud. Quelles sont vos terres électives et comment vous inspirent-elles ?
AM : Je suis originaire de banlieue parisienne, mais depuis toute petite je venais avec mes parents passer une partie de l’été dans le Gard. J’ai des souvenirs très forts d’odeurs de thym, de recherche d’ombre à l’heure de la sieste, de baignade dans l’eau fraîche des rivières, du chant assourdissant des cigales. M’installer à Toulon m’a permis de vivre toute l’année dans le pays des vacances et de l’enfance ! Depuis, j’ai découvert la Corse. Ces régions-là – la Provence, la Corse – sont des lieux très contrastés : ce n’est pas seulement la douceur de vivre, avec le ciel bleu toute l’année. C’est aussi le vent qui rend fou, la chaleur extrême, la lumière éblouissante, la végétation qui s’accroche dans les pierres. J’aime cette espèce de violence de la nature, cette intensité, et j’ai envie de la transcrire.
DR : Pour ma part, je suis d’Uzès, petite ville gardoise au nord de Nîmes, entre garrigues, Cévennes et Camargue. Cette région de caractère est restée ma terre de cœur malgré mon goût pour la découverte d’autres paysages. De mon Sud natal, j’aime conter sa lumière enveloppante qui donne de la vivacité aux couleurs, ses paysages ressourçants où beauté et air pur donnent envie de prendre le temps de vivre. La décontraction de ses habitants n’est pas qu’une carte postale car humour rime souvent avec cocagne, ce qui est un lien évident avec la belle Corse d’Anne.
Quelle est votre définition du roman régional ? En quoi est-il aujourd’hui en pleine évolution ?
DR : Le roman régional est avant tout un roman ; il est comme n’importe quelle fiction, si ce n’est qu’il met davantage en avant le lieu où son histoire se situe, ce qui ne dévalorise en rien son sujet. Au contraire, je dirai que c’est un plus offert aux lecteurs qui apprécient d’être immergés dans une région, de la découvrir ou de la reconnaître. L’évolution du roman régional, puisqu’il faut le classifier, est évidente. Autrefois, le sujet partait du terroir même en racontant d’anciens métiers, des industries régionales du passé ou bien des faits de guerres. De plus en plus, le lieu d’ancrage devient une toile de fond, un personnage secondaire au cœur d’histoires plus modernes, de sujets et de faits de société. C’est le cas en ce qui concerne mes romans.
AM : Je suis d’accord avec Dany tant sur la définition que sur l’évolution de ce qu’on appelle “roman régional”. Je pense que l’ancrage dans une région est un atout supplémentaire pour une histoire. Cela crée un décor, une ambiance singulière, ça donne de l’épaisseur à l’histoire. Et oui, je pense qu’il y a une forme de modernisation du roman régional actuel. La région devient la toile où se tissent des histoires plus contemporaines. Il peut n’être qu’un décor, mais il peut aussi être, comme je l’ai fait dans mon premier roman, le personnage central, celui autour duquel s’articule l’histoire. À notre époque où l’on peut voyager en quelques heures à l’autre bout du monde, je trouve ça important de montrer que les lieux familiers qui nous entourent ont aussi des choses à nous apprendre.
Au cœur du roman régional, il y a bien sûr les secrets de famille… Mais aujourd’hui, c’est aussi le terreau d’histoires plus contemporaines. Les sujets actuels et sociétaux sont-ils importants pour vous ?
AM : Personnellement, je crois que tout écrivain est engagé, par définition. Qu’on le veuille ou non, on transcrit dans nos romans une part de ce que nous sommes, et, à moins d’être complètement indifférent à ce qui se passe dans le monde, on a forcément des opinions sur les sujets de société. Sans faire de ses romans des pamphlets, je pense qu’on peut faire passer tout en douceur des idées qui peuvent faire évoluer la société vers plus d’harmonie. Créer des héroïnes indépendantes, des couples de fiction qui fonctionnent en partenariat et non dans le rapport de force, c’est être féministe. Imaginer un couple homosexuel et l’insérer au sein de son récit sans que ce soit le sujet principal, c’est contribuer à lutter contre l’homophobie. Parler du burnout dans l’enseignement, c’est dénoncer l’état actuel de notre système d’éducation. Bref, même si la fiction ne fait que prendre appui sur ces thèmes, elle n’est pas neutre pour autant…
DR : J’ai de l’admiration pour les auteurs de romans historiques mais, pour ma part, ce n’est pas le passé qui m’anime. Je suis délibérément une romancière du contemporain, et tant de thèmes m’interpellent que je n’aurais jamais assez de ma vie d’autrice pour tous les aborder. Sensible aux injustices et aux souffrances imposées par les aléas de la vie ou directement par l’Homme, je n’hésite pas à mettre au premier plan des personnages laissés en marge de la société. Si seulement cela pouvait éveiller quelques consciences, ce serait formidable. C’est ma sensibilité, je la revendique.
La résilience et la bienveillance caractérisent vos histoires. Le roman peut-il être un vecteur de reconstruction pour son lecteur et pour son auteur ?
DR : Je pense que le terme “reconstruction” est trop fort. J’espère vraiment apporter un questionnement aux lecteurs, leur inspirer un regard différent sur l’autre ou, au moins, et c’est déjà enrichissant, leur offrir un moment de bien-être au fil de mes pages. Je suis une indécrottable optimiste, alors la bienveillance et le pouvoir de résilience font naturellement partie de ma personnalité. L’écriture me permet de les transmettre, c’est un vrai bonheur.
AM : Comme Dany, je n’ai pas la prétention de guérir qui que ce soit ni de faire de mes romans ma propre thérapie. Ma seule ambition est d’être une raconteuse d’histoires, et d’y transmettre des émotions. Si mes récits font du bien aux gens, tant mieux, ce sera ma plus belle récompense !