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La Minute Lecture : Le Portrait de mariage de Maggie O'Farrell
Publié le 01/09/2023 , par Lisez

Il lui a fallu bien du talent, bien des recherches aussi, pour écrire ce Portrait de mariage. Maggie O’Farrell, on le sait depuis longtemps, a le goût des intrigues tumultueuses, des récits troublants et ce livre n’échappe pas à la règle. En contemplant le seul portrait existant de Lucrèce de Médicis on comprend qu’elle ait voulu imaginer cette ahurissante histoire, à la frontière du thriller. Un portrait inhabituel tant il est sombre, effrayant, moderne aussi.
Dans ce roman, la reconstitution de la Renaissance italienne déborde de détails, de bruits, de bruissement d’étoffe, de parfums et de mets. Et, si l’intrigue se situe à la moitié du XVIIe siècle, l’auteure nous donne l’étrange impression de nous tenir aux côtés de son héroïne, tout près d’elle. Dès les premières pages on découvre que Lucrèce a peur : son mari veut la tuer, mais pourquoi ?
Le récit alterne alors entre deux périodes : avant et après le mariage de Lucrèce. Jeune fille, la fille de Cosme de Médicis, grand duc de Florence, s’ennuie ferme au palais. Elle n’intéresse personne : ni ses parents, bien plus préoccupés par ses aînés que par cette petite dernière un peu trop sauvage, ni sa sœur, Maria, absorbée par la préparation de son mariage avec Alfonso de Ferrare, autre homme immensément puissant. Lucrèce s’évade en dessinant, déambule dans les salons de cette forteresse, tout en rêvant d’ailleurs. De sa cage dorée, elle contemple la comédie humaine dont elle refuse de faire partie, préférant les bras de sa tendre nourrice. La mort de Maria change la donne et scelle son destin : c’est elle qui épousera Alfonso. La « remplaçante » n’a pas quinze ans.
La romancière relate avec d’infinis détails la cérémonie de mariage, de la robe insensée aux festivités grandioses, rien ne lui échappe. Dans ce décorum majestueux, Lucrèce se mue soudain en marionnette, exhibée comme un trophée au bras d’un presque inconnu. Mais quelques mois après son union, Lucrèce, inapte à donner un enfant à Alfonso, comprend que sa fin est proche. La tension ne cesse alors de monter. Est-elle paranoïaque ? Voit-elle clair dans le jeu de cet époux lunatique, capable du pire comme du meilleur ? Tout alors devient suspect, une balade à cheval, le gibier ou le vin servis dans une villa fantomatique… L’effroi fait place à la servitude : l’indocile, secrètement, usera de tous les moyens pour sauver sa peau.
Peut-on imaginer la vie de cette jeune aristocrate, intelligente et rebelle, devenue soumise, prisonnière, interdite d’exprimer une opinion, réduite à se taire, condamnée à survivre dans un monde cruel et violent ?
Maggie O’Farrell décrypte la psyché de cette enfant abandonnée de tous, ses espoirs déçus, son extrême solitude, son devoir, effrayant, de satisfaire son époux. Certains, sans doute, allégueront que cet ouvrage n’est qu’une fiction. Reste que Lucrèce, gamine sacrifiée, jeune femme prodigieuse et héroïque, n’est pas une protagoniste comme les autres. Sa manière d’agir, sa liberté de penser, en en font un personnage à part, inoubliable.
Lisez ! · Minute Lecture - Le portrait de mariage