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Les Filles de Roz-Kelenn : Voyage dans la mémoire bretonne

Publié le 18/06/2024 , par Presses de la Cité

« Oh, faut pas croire, on a eu du dur ! » disait souvent ma mère dans son français émaillé de bretonnismes. « On » : mon père et elle. « Avoir du dur » : affronter des tracas, avoir des ennuis, du mal à accomplir une tâche.
Conjuguée au passé, l’expression donnait à entendre sa fierté, exprimée d’un pincement de lèvres un peu hautain, d’avoir tiré sa charrette de l’ornière. Enfance de pauvre, à peine un an et demi d’école, bonne de ferme à douze ans, ces misères-là étaient derrière elle. Elle avait vaincu le destin.

Tout de suite après leur mariage, mes parents quittèrent la campagne pour s’installer en ville, et c’est comme ça que je suis né à Quimper, où j’ai fréquenté les bibliothèques, les cinémas et le théâtre en compagnie de camarades lycéens. Pour mes parents, je devins une sorte d’alien. Qu’on en juge : en introduction à son premier cours, en classe de seconde, un professeur d’anglais, légèrement imbu de lui-même, clamait : « Messieurs, désormais vous appartenez à l’élite, soyez-en dignes ! » C’était exagéré, mais partiellement vrai. À cette époque, peu nombreux étaient les garçons et les filles à aller jusqu’au bachot.

Quand mon premier roman noir a été publié et qu’on a vu ma bobine dans les journaux, ma mère, en essuyant une larme de bonheur, s’est exclamée : « Ma ! Qui aurait cru qu’un petit-fils des bugale al loch deviendrait écrivain ! »

Maintes fois elle m’avait raconté cette histoire des bugale al loch, des enfants de la cabane, une masure couverte d’ajonc, de fougère et de genêt où étaient nées ma grand-mère maternelle et sa sœur. Où leur mère, mon arrière-grand-mère, avant de mourir d’on ne sait quoi – elle soignait des douleurs abdominales en posant sur son ventre de la bouillie d’avoine brûlante –, avait murmuré à ses fillettes : « Votre Mamm n’en peut plus… Partez en vadrouille, allez chercher votre manger autour… On vous donnera bien un morceau de pain ici ou là… » En breton, mendiant se dit klasker bara, chercheur de pain. Comment n’avoir pas envie d’écrire cela ? C’est ainsi que commence Les Filles de Roz-Kelenn.

Installés en ville, mes parents avaient gardé l’amour de la terre et se faisaient un plaisir d’aller à la belle saison donner un coup de main à leurs frères et sœurs paysans. Petit dernier, je les accompagnais. J’ai donc eu la chance de participer, dans la mesure de mes moyens, à tous les travaux de la campagne : foins, moisson, battage, pressage des pommes à cidre, traite des vaches, sacrifice du cochon, ainsi que d’assister aux ripailles où, vin et lambig aidant, les hommes s’engueulaient en breton, remettaient sur le tapis de vieilles rancœurs, souvent des affaires de partages successoraux inéquitables. On risquait d’en venir aux mains, les femmes calmaient les esprits. À mon insu, tout cela s’incrustait dans ma mémoire. Et quand j’ai commencé d’écrire Les Filles de Roz-Kelenn, tout m’est revenu.

Entre-temps j’avais appris les bases de la langue bretonne et vu mes parents vieillir. Avant qu’il ne soit trop tard, j’ai fouillé avec eux dans leur malle au trésor. Ma mère avait une mémoire phénoménale des noms, des dates, des liens de parenté aussi compliqués que des entrelacs celtiques, des destins singuliers de personnages dont j’ignorais l’existence. Celle de mon père était plus sélective. Ironiste, il avait la dent dure à l’égard des minables, des sournois, des fainéants, des naïfs. Il s’intéressait moins aux bons qu’aux vilains, et tant mieux, car il en faut, des méchants, pour réussir un roman.

La matière était considérable et pour Les Filles de Roz-Kelenn je n’en ai utilisé qu’une petite partie. Si bien que, pour mon bonheur, je me suis trouvé dans l’obligation de continuer, de sauter de branche en branche de l’arbre généalogique d’une vaste famille imaginaire, les Scouarnec-Gwenan. Les Confidences du pommier, neuvième volume de ce cycle breton, a paru à l’automne 2023. Sera-t-il suivi d’un dixième, pour faire un compte rond ? Sans doute. Jusqu’à présent, les muses ont su me câliner au bon moment.

Une muse de chair et d’os n’a pas été gentille avec moi, qui ne m’a rien confié : une sœur de mon père, ma tante Catherine. Elle aurait mérité que je lui consacre ce dixième volume. À l’âge de huit ans, ne parlant pas un mot de français, elle est embarquée par des religieuses dans un couvent des Hautes-Alpes où elle passe le certificat d’études, le brevet élémentaire, le bac ! La congrégation l’inscrit à la fac de lettres de Lyon. Licence de lettres classiques, licence d’anglais, agrégation et carrière de sommité de l’enseignement catholique. C’est conduite par une bonne sœur dans une voiture de fonction qu’elle reviendra chaque année en vacances près de son lieu de naissance. Bien qu’elle me considérât comme un communiste, elle m’appréciait. « Hervé, nous deux on se ressemble, on est les deux phénomènes de la famille », me dit-elle un jour, à un goûter d’après-enterrement.

Alors qu’elle avait atteint un grand âge, résidait dans une maison de retraite et ne donnait plus de ses nouvelles, à ma grande surprise elle m’adressa une carte de bonne année qui fut le début d’une correspondance, hélas éphémère. Croyant déceler sous sa plume le désir de se confier, j’eus le tort de lui suggérer de me raconter sa vie en détail. Ses sentiments d’enfant exilée dans les Hautes-Alpes, ses études, la vocation, le professorat, sa place dans la hiérarchie de l’enseignement catholique, son éventuel ressenti de transfuge social, toutes choses impossibles à inventer. En retour, elle me claqua la porte au nez, par une dernière lettre. « J’ai été heureuse toute ma vie. Pas question de t’en dire plus, je n’ai aucune envie de me retrouver dans un de tes livres. »

Elle avait deviné juste. L’écrivain est un peu voyeur et voleur sur les bords.       

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