Interview
Trois questions à Jean-Pierre Montal
Publié le 23/08/2024 , par Séguier

Né en 1971, Jean-Pierre Montal est romancier et éditeur. Cofondateur des éditions Rue Fromentin, il a notamment publié au sein de cette maison des auteurs comme Madeline Miller, J. Courtney Sullivan, Meg Wolitzer et Patrice Jean. La Face nord est son cinquième roman. Il suit La Nuit du 5-7 et Leur chamade (prix Jean-René Huguenin 2023), tous deux également parus aux éditions Séguier.
Les deux personnages principaux de La Face nord nourrissent une passion pour Elle et lui, de Leo McCarey, avec Cary Grant et Deborah Kerr. Pourquoi avez-vous choisi ce film ?
J’ai dû le voir plus d’une dizaine de fois avec une émotion intacte. Il symbolise pour moi une certaine idée de la perfection. J’ai donc voulu placer la barre haut en me disant, de façon un peu naïve : « Essaie d’écrire une histoire d’amour aussi prenante qu’Elle et lui. » Et puis, plus largement, j’ai voulu rendre hommage aux oeuvres qui nous accompagnent toute une vie. Nous avons tous un livre, un disque, un film ou un tableau qui n’a jamais cessé de nous fasciner. Nous y pensons dans les moments heureux, nous y retournons dans les passes plus difficiles. Je voulais décrire ce rapport complice, presque amical que l’on entretient avec certaines créations.
Vienne, la capitale autrichienne, joue un rôle très important dans le roman. Pourquoi ce choix ?
Je suis passionné par la littérature austro-hongroise en général et tout particulièrement par Joseph Roth. L’architecture est une autre de mes obsessions. Quand vous vous intéressez à ces deux sujets, Vienne devient vite un eldorado. L’ébullition artistique et intellectuelle de cette ville au début du XXe siècle est sidérante, qu’il s’agisse des œuvres de romanciers tels que Zweig ou Schnitzler, des théories de Freud… Je voulais en faire quasiment un personnage du livre. Et puis, je tenais à écrire un roman court. Je trouve que l’on confond trop souvent grand et gros roman. La brièveté est pour moi l’école de l’exigence absolue, chaque mot doit être à sa place. Mais je tenais à proposer un livre court dans lequel il se passe énormément de choses, qui conjugue des lieux, des époques, des styles différents. En fait, j’ai tenté de rassembler dans La Face nord tout ce que j’aime en littérature : l’efficacité des romanciers américains, la clarté sans effet de manche des auteurs français du XIXe siècle et la profondeur psychologique des écrivains austro-hongrois.
Vous décrivez une histoire d’amour. S’agit-il encore d’un vrai sujet pour un roman aujourd’hui ? Tout n’a-t-il pas déjà été dit et écrit ?
J’ai l’impression que la littérature se perd un peu quand elle cherche à tout prix à traiter des grands sujets de société, des questions politiques ou sociales. Les personnages deviennent vite de simples véhicules pour les idées. Dans tous mes romans, je m’intéresse avant tout aux personnages, à leur passé, leur façon de parler, leur destin le temps du livre. C’est le plus important pour moi. Et puis, en partant d’une situation aussi classique et intime qu’une rencontre amoureuse, je suis persuadé que l’on peut aborder plus subtilement les autres grands sujets. L’histoire d’amour de La Face nord est ainsi l’occasion de parler du rapport à la mémoire, de la tentation de réécrire l’Histoire, de la tension entre les générations, du rapport à la vieillesse… Plus on est particulier, personnel, plus on a de chances d’être universel. J’en suis persuadé.