Celles qu'on tue : Le livre de Patricia Melo

Sans concession, sans pardon et avec une véhémence et une haine caractérisée et surtout bienvenue contre les violeurs et tueurs de femmes, Patricia Melo nous offre un livre violent et décalé. Dans cette région de l'Acre, sans foi ni loi, nous découvrons un croisement de destins de femmes qui se rencontrent avec fracas. Traitées comme des sans grades, elles sont assassinées avec une animosité et une brutalité difficilement descriptible. Et pourtant l'auteure y arrive, avec beaucoup de justesse et de gravité. Ne jamais rien céder à ces tortionnaires, et ne jamais rien pardonner à tous ces chiens, au Brésil et à travers le monde auteurs de féminicides. Le combat ne fait que commencer.

Avec un titre choc et qui ne cache pas ce que nous allons lire, Patricia Melo nous raconte la vie des femmes et les féminicides au Brésil. A travers le personnage d'une jeune avocate, originaire de la mégapole Sao Paulo , qui va aller enquêter au cœur de l'Acre, zone de l'Amazonie brésilienne et assister à des procès, et en particulier au procès des assassins d’une jeune indigène. Ce texte est difficile, bouleversant et n'est pas un livre de plus sur les féminicides. Il reste un texte romanesque mais part de faits réels. L'auteure décrit très bien le climat social, politique, écologique de son pays. Les comptes rendus des procès, les réactions de la population, les risques encourus par les victimes, par les personnes qui décident de rendre compte, celles qui militent. L'auteure nous parle avec subtilité, des situations et j'ai aussi apprécié de "rajouter" du romanesque, de l'onirisme (en nous parlant de l'ayaluasca, un puissant psychotrope). Elle décrit très bien le patriarcat, le masculanisme, l'héritage du colonialisme blanc sur les populations indigènes. Un texte qui a fait écho à certaines de mes précédentes lectures, comme les textes percutants de Chloé Delaume, et en particulier, Phallers, mais aussi "cauchemar brésilien" de B. Meyerfeld, sur la situation politique du Brésil. Un texte qui m'incite à continuer de lire les romans de cette auteure. #Cellesquontue #NetGalleyFrance

Dans l’Acre, région brésilienne à la frontière de la forêt amazonienne, la narratrice, jeune avocate de Sao Paolo vient suivre des procès de féminicides pour nourrir des statistiques sur le sujet. Mais du général au particulier, elle est particulièrement émue par l’assassinat d’une jeune indigène par trois hommes appartenant à la jeunesse dorée de l’Acre et aux familles des fondateurs de cette colonie. Elle se retrouve alors au milieu des plus vieilles histoires d’injustice au monde où les hommes de pouvoir peuvent agir en toute impunité aux détriments des populations les plus fragilisées, ici les femmes et les indigènes. J’avais envie de lire ce livre depuis sa sortie et je n’ai pas du tout été déçue. Le roman est constitué de trois fils narratifs intriqués, la numérotation des chapitres et la police des textes permettent de bien les différencier. Ils ont chacun un style d’écriture différent qui fait naître des émotions fortes différentes aussi surtout pour les deux fils “secondaires” qui sont une litanie de fiches journalistiques concernant des féminicides et l’entrée de la narratrice dans une réalité parallèle et invisible dont la porte est ouverte par l'ayahuasca, la drogue des chamanes. Ces expériences chamaniques sont très intenses avec une violence symbolique forte et des pulsions de vengeance. Avec tous ces ingrédients, Patricia Melo arrive à construire un roman fort abordant des thèmes variés et durs sans jamais tomber dans le sensibilisme : la situation des indigènes au Brésil (ils sont invisibles, ils n’existent pas… politique de Bolsonaro sous le mandat duquel les écoles dans les villages indigènes ont disparu); Problématique des femmes battues et surtout tuées - le danger pour les femmes n’est pas dans les ruelles obscures mais chez elle; le porn revenge et son mécanisme ; la sororité… J’ai adoré les aspects liés à la forêt amazonienne et à sa découverte par la narratrice, que ce soit la réalité des populations indigènes, la tentative de reconstruction et de réappropriation culturelle de ces communautés, en particuliers les aspects chamaniques (violents et cathartiques) et la réalité sensorielle de la forêt avec le bruit des insectes et l’odeur de l’oxygène et de la sylve triomphante. Une identification symbolique est d’ailleurs faite entre la forêt et les femmes agressée par les orpailleurs, les agriculteurs, les sociétés au pouvoir en un mot les exploiteurs qui prennent sans jamais rien donner en échange - même si la métaphore aurait pu être plus filée. Une histoire courte de la région montre bien que les premières exploitations d’hévéa ont d’ailleurs fini par le massacre de la forêt et des populations autochtones. C’est un roman très dense en thèmes forts mais qui arrive à ne pas se perdre. J’aurais aimé qu’il soit plus long. Une lecture intense et qui m’a énormément plu. Je pense que je découvrirai d’autres livres de cet auteur.