Chroniques de l'oiseau à ressort : Le livre de Haruki Murakami

Dans la liste de mes romans de Murakami préférés, ces Chroniques viennent rejoindre Kafka sur le rivage à la première place. Très différent de "Kafka", ce roman-ci présente pourtant tout ce qui rend les écrits de Murakami totalement uniques. On y retrouve ce phénomène de déraillement du quotidien le plus banal et le plus concrètement décrit, vers l'étrangeté, l'onirisme, le cauchemar. Cela commence par un évènement anodin (la disparition du chat) et mène, au travers de situations, de rencontres et de coïncidences de plus en plus insolites, jusqu'à une collision entre réalité et fantastique qui efface tous les repères et parvient pourtant à nous maintenir accroché aux héros de cette histoire, comme si cette évolution était normale, logique. Entre temps, nous aurons découvert un peu plus le Japon contemporain, la manière dont y sont considérées les personnes hors normes, qu'il s'agisse d'un chômeur, d'une adolescente fâchée avec l'école, d'un ancien combattant solitaire ou d'une jeune femme qui veut s'affranchir des règles de sa famille et épouser l'homme qu'elle aime. Nous aurons aussi appris énormément sur une page sombre de l'histoire de ce pays, à savoir la colonisation de la Mandchourie et la guerre contre les Soviétiques qui y mit fin. Ces deux époques, l'auteur les unit avec le même brio que la réalité et le fantastique, créant des passages entre les deux périodes, soit par des souvenirs, soit par des rencontres entre des protagonistes de générations distinctes. Ou encore par d'étonnantes coïncidences. C'est de toute façon une spécialité de Murakami, ces mariages, parfaitement réussis, entre des mondes antinomiques : les abominations de la guerre et la tendresse du jeune couple du narrateur ; la violence de certaines scènes (réelles ou rêvées ? allez savoir) et l'apaisement de moments de repli dans le confort de sa maison ; les passages contemplatifs, pour observer la ville, ses recoins, ses habitants et, à l'opposé, les pages nerveuses qui prennent à la gorge par un suspense puissant ; la naïveté, la gentillesse, la générosité de certains personnages (qui peuvent les cumuler ou non) et les désirs de domination, le mépris, les obsessions malsaines, l'esprit manipulateur, la cruauté de quelques autres. Tout cela, savamment dosé et agencé, donne déjà une grande richesse à ce roman, mais l'auteur maîtrise aussi bien d'autres ingrédients qui font une grande œuvre. Outre sa manière de décrire décors et personnages, de manière détaillée et pourtant fluide, sans casser le rythme de l'intrigue, il parvient à tracer des portraits très justes et très finement caractérisés, à la fois dans les postures, l'habillement, les comportements, mais aussi dans la façon de s'exprimer. A tel point que l'on a l'impression d'entendre réellement des voix différentes quand chaque personnage intervient dans un dialogue. Je ne listerai pas tous les noms, mais chacun, à sa manière, m'a séduit (sauf les salauds les plus abjects, cela va sans dire, même si je reconnais qu'ils sont tout aussi réussis). Autre qualité de ce roman, les thèmes abordés sont très variés et l'auteur les approfondit avec justesse. Les liens familiaux, le devoir, le destin, l'hypocrisie, la manipulation mentale, mais aussi la difficulté à trouver sa place dans une société normée et sous le regard des autres (familles, amis, collègues, supérieurs...) et, enfin, la libération des carcans, difficile, violente, mais salutaire : Murakami mêle tout cela et cela remue bien des questions dans notre esprit au fil de la lecture. Pour terminer, je soulignerai ce qui m'a le plus touché dans ce roman : la complicité entre Toru, le narrateur, trentenaire au chômage, et May, adolescente déscolarisée, solitaire, atypique, qui habite dans une maison voisine. Dans leurs discussions sans entraves, tout autant que dans l'aide qu'ils s'apportent mutuellement, ces deux êtres aussi intelligents, sensibles et farouches l'un que l'autre, portent tout le roman sur leurs épaules. Et lui donnent un indispensable goût d'espoir.

Murakami n’a pas son pareil pour faire naître une forme de magie hypnotique dans le récit de scènes du quotidien le plus dépouillé. Chaque action du narrateur évoque une sensation, une réflexion, une proximité en même temps qu’un étrange décalage. L’écriture de Murakami est implacable dans sa manière de donner vie à ses personnages, en se tenant loin de toute analyse psychologique pour se concentrer sur la description minutieuse de leurs gestes, de leurs actions et de leurs mots simples. La force de Murakami est de parvenir, derrière une apparence d’immense simplicité, à nous questionner sur le désir, le deuil ou les frontières floues de la réalité. Il est certain que Murakami est un des écrivains les plus fascinants dans sa capacité à nous faire toucher du doigt que le sens des choses se dérobe parfois, se cache sous la surface de la banalité comme le sens de son histoire se faufile entre ses lignes et ses mots.

Il y a bien des livres qui désarçonnent........Chronique de l'oiseau à ressort en fait partie ! Le titre interpelle..La lecture confirme cette sensation de curiosité ! Murakami a cet art de nous balader dans des lieux, mais aussi des circonstances improbables..Mais cela passe...Sans aucun problème ! La frontière entre le réel et le surnaturel est aussi fine qu'une lame de Katana! Le moment le plus cocasse est bien entendu cette période de réflexe que le héro passe........Au fond d'un puits ! la lecture est agréable malgré le volume consistant ! A lire sans hésitation