Illuminations et nuits blanches : Le livre de Carson McCullers

Composé d'un texte autobiographique dicté par Carson McCullers à différentes personnes qui lui ont servi de secrétaires durant les derniers mois de sa vie, de fragments de la correspondance qu'elle a entretenue avec son mari durant la Seconde Guerre mondiale, et des trois dernières nouvelles qu'elle a écrites, cet ouvrage disparate a les mêmes défauts que toutes les oeuvres inachevées rassemblées et publiées après la disparition de leurs auteurs. La question se pose régulièrement de savoir s'il est bien indispensable de publier ces écrits qui ne l'auraient jamais été tels quels de leur vivant. Le texte autobiographique n'aurait probablement pas gardé cet aspect de bavardage égrenant souvenirs, personnes et situations sans trop de suite. Cela peut être émouvant, ou cocasse, c'est souvent d'une grande sincérité. J'ai tout de même ressenti une certaine frustration à ne pas retrouver la plume de Carson McCullers dans ces écrits. Il n'est évidemment pas possible non plus de la retrouver dans les lettres anxieuses qu'elle a pu écrire à Reeves McCullers pendant qu'il était sur le front en Europe. Les retards de courriers transforment ces échanges en un douloureux dialogue de sourds, donnant l'impression que chacun des deux court après l'autre. Le vrai miracle, en fait, c'est que ces lettres aient pu être écrites, envoyées et reçues dans un tel maelström. Ces deux premières parties sont surtout touchantes au regard des circonstances d'écriture, les tous derniers mois de sa vie pour la première, la guerre pour la seconde. Les trois nouvelles, en revanche, sont bel et bien abouties. Qu'il s'agisse du premier jour de classe de Nabisco dans une école "intégrée", de la vie de Lucilla Jenkins et de ses échanges avec l'Homme d'en Haut ou de la Marche de protestation dans laquelle s'engage Jim, ce sont encore des voix que l'on n'écoute pas qui s'expriment. Elles sont ancrées dans le Sud natal de Carson McCullers, dont elle disait que là résidait toujours sa réalité. On y retrouve son attention à la population noire, à ses conditions de vie, au racisme "ordinaire", aux injustices glaçantes, aux violences mais aussi à la fraternité et aux luttes indispensables pour la reconnaissance des droits de tous. L'important est, reste de dépasser les limites imposées, de faire le pas de côté qui enrichit l'humanité et rompt la solitude. Jusqu'au bout, Carson McCullers aura su faire résonner les voix de cette autre Amérique.