La bureaucratisation du monde à l'ère néolibérale : Le livre de Béatrice Hibou

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La Découverte

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Qui vit, produit ou consomme, qui se détend, se forme, se soigne aujourd'hui, est frappé d'une évidence : l'envahissement de pratiques, de dispositifs ou de procédures bureaucratiques qui n'englobent pas seulement l'administration étatique mais l'ensemble de la société.

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Nos sociétés modernes sont victimes d'un envahissement croissant de la vie professionnelle et quotidienne par la bureaucratie. Comment qualifier autrement l'exigence toujours croissante de papiers, fussent-ils numériques ? Et que dire de la confrontation incessante avec des procédures formelles pour avoir accès au crédit ou à un réseau in-formatique, pour louer un logement, noter des banques ou bénéficier de la justice ? Ou encore du besoin de respecter des normes pour que les comptes d'une entreprise soient certifiés ou qu'un légume soit qualifié de biologique ?
Au point de rencontre entre Max Weber et Michel Foucault, Béatrice Hibou analyse les dynamiques politiques sous-jacentes à ce processus. La bureaucratie néolibérale ne doit pas être comprise comme un appareil hiérarchisé propre à l'État, mais comme un ensemble de normes, de règles, de procédures et de formalités (issues du monde de l'entreprise) qui englobent l'ensemble de la société. Elle est un vecteur de discipline et de contrôle, et plus encore de production de l'indifférence sociale et politique. En procédant par le truchement des individus, la bureaucratisation ne vient pas " d'en haut ", elle est un processus beaucoup plus large de " participation bureaucratique ". Pourtant, des brèches existent, qui en font un enjeu majeur des luttes politiques à venir.

De (auteur) : Béatrice Hibou

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Expérience de lecture

Avis des libraires

L'ouvrage s'ouvre sur le récit de la journée d'une jeune infirmière fictive afin de bien faire sentir combien les procédures bureaucratiques ont envahi notre quotidien jusqu'à l'absurde. Sauf qu'à rebours d'une idée rebattue, celles-ci émanent en premier lieu des entreprises privées. Spécialiste d'économie politique, l'auteure propose ainsi une synthèse de nombreux et divers travaux pour analyser cette diffusion continue des normes, standards et procédures sous un double impératif de rentabilité et de transparence. Un mode subtil de "gouvernement à distance", comme l'avait déjà pressenti Michel Foucault, évacuant les conflits, et dont certains savent aussi tirer directement profit. Pour autant, si le tableau peut apparaître dans un premier temps sans appel ni nuance, l'auteure montre dans une dernière partie - sans doute la plus stimulante et la plus originale -, que loin d'être irrésistible, cette normalisation généralisée suscite également ses propres détournements. Et plus encore, que formalités et informalités s'imbriquent et sont le fait des mêmes agents, "les formalités n'étant en fin de compte que des informalités qui ont réussi".

|Igor Martinache
Alternatives Economiques

Dans son précédent ouvrage (Anatomie politique de la domination, 2011), Béatrice Hibou avait analysé les mécanismes de domination dans les régimes autoritaires et totalitaires, et montré qu'ils n'étaient pas seulement générés "d'en haut". Ici, en s'appuyant sur les sociologues classiques (Max Weber), sur Michel Foucault, et sur de nombreuses études dans des champs disciplinaires différents, elle explique comment le néolibéralisme produit de la bureaucratie, et comment celle-ci se construit dans tous les domaines de la vie. Du New Public Management (introduire dans la gestion des affaires publiques des critères de performance dérivés du secteur privé) à l'aide au développement, de la recherche universitaire aux politiques migratoires, de la lutte contre la corruption aux politiques environnementales, on retrouve des formes de "gouvernement à distance", d'apparence dépolitisées mais produites par des luttes entre groupes d'intérêt. Tout semble commencer et finir par des chiffres, par des normes, par des évaluations, des audits et des certifications. Des multitudes d'acteurs ont intériorisé les discours et les pratiques de la bureaucratie néolibérale, même dans les efforts de contestation qui font appel aux mêmes procédés. Très nombreux sont ceux qui en profitent, cabinets d'experts et d'audit, mais aussi les managers "apparatchiks" de la recherche ou de la santé qui se vantent d'être "modernes". Paradoxalement, on retrouve la planification, la routine bureaucratico-administrative et son indifférence à l'égard des individus, la recherche de la sécurité absolue, la production de catégories "à problème". Un livre extrêmement riche qui regroupe des inquiétudes éparses et invite à davantage de travaux critiques et de vigilance, même si le processus décrit semble difficilement réversible.

|Pierre Grosser
Alternatives Internationales

Poursuivant son travail original de réflexion sur les formes contemporaines de la domination, Béatrice Hibou analyse la bureaucratisation comme un envahissement de procédures, de normes, de formalités dont la souplesse fait la force. Tous les domaines de la vie courante y sont désormais soumis dans une véritable inflation de formalités. Mais loin d'une simple pesanteur, il faudrait voir la bureaucratie néolibérale comme un phénomène d'adaptation permanente. Elle est d'essence politique et marque le redéploiement du politique selon une nouvelle forme de gouvernement. Rien de kafkaïen donc dans cette bureaucratie-là, mais un débordement d'abstraction venu des méthodes de l'entreprise et qui, laissée aux mains de ses utilisateurs au quotidien, devient un outil de contrôle social. La différence se fait entre ceux qui savent en jouer et les autres.

|Thierry Jobard
Sciences Humaines

La bureaucratie n'est pas l'apanage des Etats. Du monde de l'entreprise, avec l'inflation des outils de mesure des performances pour les managers, à celui de la consommation, avec les règles souvent absurdes de relation avec les clients appliquées dans certains centres d'appels, " combien de fois n'avons-nous pas le sentiment de perdre du temps avec des règles, des procédures ou des contraintes normatives inutiles ? " écrit Béatrice Hibou, directrice de recherche au Centre d'études et de recherche internationale de Sciences po. Son ouvrage, riche en exemples puisés dans tous les domaines de l'économie, tend à démontrer que ce phénomène va de pair avec l'essor des sociétés néolibérales. Menées au départ pour réduire l'intervention bureaucratique des Etats, de nombreuses réformes aboutissent à une réinvention de la planification. Ce que l'auteur résume par la formule paradoxale : " Plus on déréglemente, plus on bureaucratise. "

|Benoît Geoges
Les Echos

C'est par une situation ubuesque mais tellement ordinaire que Béatrice Hibou amorce son enquête sur les formes et les mécanismes de la bureaucratisation néolibérale. Qui n'a pas été confronté au protocole rigide d'un centre d'appels, essayant tant bien que mal de décrire un problème quelconque à un opérateur anonyme, formé à enregistrer des doléances toujours prévisibles ? Que l'on se confronte à une administration publique ou à un service client, ce sont les mêmes formulaires absurdes à remplir et des interactions sociales impersonnelles. La bureaucratisation, en ce sens, c'est plus qu'une organisation d'État : c'est une formation sociale, un système de gouvernement des conduites qui pénètre l'ensemble de la société. 
Dans l'" ère néolibérale ", souligne l'auteure, ce système consiste en une " diffusion de pratiques bureaucratiques issues du marché et de l'entreprise ". L'" homothétie " (similitude) voulue entre le privé et le public favorise leur " enchevêtrement ". Plutôt que d'une " dérégulation " fantasmée par les économistes néolibéraux, on observe au contraire une " inflation normative ". Le fonctionnement des marchés, saturés de règlements, comme les partenariats public-privé, attestent de cette confusion en règles. La bureaucratisation, instauratrice de réalité, se prévaut d'un management par le formalisme et l'abstraction. On est vite étourdi par l'ubiquité et la complexité des processus en jeu. Béatrice Hibou réussit pourtant à en détricoter la logique au fil des chapitres. Les approches classiques du phénomène (Weber, Foucault...) sont resituées à l'aune des évolutions actuelles. L'auteure articule les mécanismes génériques (le formalisme, la normalisation...) et les exemples les plus concrets (des formalités, les normes ISO...). Tandis que les enquêtes sociologiques ont tendance à documenter les effets de la bureaucratisation sur des secteurs pris isolément (l'hôpital, la police, les associations, mais aussi la finance, etc.), l'analyse alterne les terrains d'étude et dévoile ainsi des " traits constitutifs ". Avec le New Public Management, les administrations et les services publics se " gèrent " comme des entreprises, selon des indicateurs quantifiés d'efficacité et d'effectivité, " l'obsession " de rendre des comptes, qui " cassent l'indépendance des métiers ". Le souci de la comparaison internationale aide aussi à rendre lisible l'implantation de ces guides de " bonnes pratiques " à l'échelle du globe, dans les pays du Sud, via d'" énormes machines bureaucratiques " tels le FMI, la Banque mondiale ou l'OCDE. L'analyse est efficace et directe. Elle s'ancre dans le " quotidien bureaucratique " et montre comment ce mouvement suppose la " participation " de tous. La bureaucratisation répond en effet à des " attentes " et, à notre corps défendant, fabrique une forme sournoise d'indifférence. En cela, elle est productrice d'un ordre politique qui opère par des standards de comportement attendus (performance, épanouissement, etc.). Le système conforte une individualisation de masse, qui déresponsabilise et fait obstacle à l'insubordination. Les marges d'action existent, mais encore faut-il se rendre attentif à la petite musique insidieuse de la bureaucratie, qui a tôt fait d'envoûter même les plus récalcitrants. Le constat, aussi déceptif que lucide, alimente donc une forme de conscience. Ça n'est pas la moindre de ses forces.

|Arnaud Saint-Martin
L'Humanité
Un essai qui tente de démontrer que la rationalité néo-libérale, loin de rompre avec la bureaucratie, instaure au contraire une nouvelle forme de bureaucratisation.|Irène Péreira
Non fiction

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Fiche technique du livre

  • Genres
    Classiques et Littérature , Essais
  • EAN
    9782707174390
  • Collection ou Série
    Cahiers libres
  • Format
    Grand format
  • Nombre de pages
    144
  • Dimensions
    222 x 137 mm

L'auteur

Béatrice Hibou

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19,00 € Grand format 144 pages