La Confusion des sentiments : Le livre de Stefan Zweig

Comme toujours on ai jamais déçu par la plume subtil de Zweig, qui excelle dans la transcription de l'ambiguïté des désirs et des sentiments, de l'amitié et de l'amour, opposés aux contraintes de la morale, notamment ici dans cet ouvrage qui aborde un sujet assez tabou avec délicatesse et une certaine audace surtout à son époque.

Quel livre ! Quelle maîtrise de la narration ! C’est mon premier Zweig et je crois que je ne pouvais mieux choisir pour ma première approche de son œuvre littéraire. La confusion des sentiments c’est avant tout l’histoire d’une passion intellectuelle folle de Roland, étudiant pour son professeur. Suite à un premier semestre de débauche sous couvert d’études à Berlin et sous la pression morale de son père, il décide de se tourner vers une petite ville de campagne, loin des tentations charnelles. Et grand bien lui fait car il rencontre son professeur de philologie qui, à travers ses récits, lui transmet sa passion pour Shakespeare. Le professeur décide de prendre Roland sous son aile et lui promet de l’aider à se reconcentrer sur les études et de là va naître entre eux une grande relation que l’on pourra aisément qualifier de passionnelle. Je n’en dirait pas plus si ce n’est qu’il faut lire ce livre pour son intelligence, pour la beauté de son récit et pour se laisser happer par la prose magnétique de Sweig. Lisez-le, vous ne serez pas déçus !

Je n’avais lu de Zweig que Lettre d’une inconnue. Mais c’était il y a longtemps, j’étais jeune encore, je ne me rappelais plus comment la plume de Zweig pouvait être aussi évocatrice, aussi précise, aussi juste. Les mots nous emportent, ils transcendent les sens. Cette passion, c’est comme si on la vivait nous aussi. Et cette confusion qui s’immisce soudain, ces passages teintés d’ambiguïté, prennent vie en nous. Le traitement réservé aux sentiments des personnages est remarquable. La passion est un sujet dont on traite souvent, mais elle est là soudain brute, si naïve à travers cet homme de 20 ans, qui paraît tellement jeune, tellement ingénu aux yeux de ce Zweig de 60 ans qui se replonge pour quelques temps avec émotion dans le souvenir de ce maître, de ce mentor, de ce mystère, de ce secret qui plane. Il est des situations floues, où les frontières se brouillent, où l’imagination semble s’écarter de toutes normes. Des instants étranges, qui reviennent tout d’un coup, des moments singuliers longtemps oubliés. Zweig, dans un récit presque interdit, presque lourd, aux passages parfois pesants, redonne une voix à ces secondes hors du commun, à ces hommes tourmentés. Il redonne des mots, des phrases, et les pensées se fixent, s’incarnent, et la confusion est dans nos cœurs.

Roland est un étudiant passionné par la littérature. Passionné plus encore par l’un de ses professeurs auquel il voue une admiration sans borne. Celui qui a été pour lui un électrochoc. Un prof magnétique trop rare comme dans Le cercle des Poètes disparus. Ce prof qui a un pouvoir sur les autres et vous marque à jamais par son enthousiasme et son enseignement. Quarante ans plus tard, alors que le narrateur enseigne à son tour, il raconte cette passion intellectuelle. Ses années de jeunesse marquées par ce maître fascinant qu’il idolâtre. Son tempérament qui lui échappe, soufflant le chaud et le froid. Cet homme, qui passe d’une exaltation exacerbée à une froideur de pierre à son plus grand désarroi. Ces changements brutaux font souffrir l’élève acharné. Tout au long de cette nouvelle, on sait qu’il y a un secret qu’on croit deviner à chaque instant. Il nous tient en haleine et nous est enfin dévoilé à la fin, à l’aune de la vie du vieux professeur. Ce récit initiatique intense alterne la honte et la haine dans l’esprit du narrateur. Ce sont des sentiments forts et complexes analysés avec brio, comme seul Zweig en est capable. La colère jalouse, la honte confuse, toute cette passion nous émeut et nous étreint, comme si nous la vivions nous-même. C’est un récit qui a connu un immense succès lors de sa sortie en 1927 par rapport à son sujet audacieux et novateur pour l’époque. Sa lecture m’a troublée et envahie d’émotions, accentuées par la voix de Daniel Mesguich lors de cette lecture audio.