La Main gauche de la nuit - édition collector : Le livre de Ursula K. Le Guin

Pas une lecture facile, je le concède, mais un dernier tiers qui vaut largement la peine de s'accrocher, tout balloté.es que nous sommes entre les noms et la froideur administrative et cryptique de Géthen/Nivôse. A l'image du personnage principal finalement. Mais au delà de l'aridité du style, du détachement parfois nébuleux avec lequel les évènements se produisent et de l'empathie tardive que l'autrice nous permet de développer pour les persos, le propos sur le patriotisme (et son pendant négatif, le fascisme) ainsi que sur les limites floues entre acquis/inné de la division genrée due au dimorphisme sexuel sont magistrales, et 100% d'actualité. Complètement ce qu'on attend d'un grand récit d'anticipation, dans la veine du Meilleur des Mondes d'Huxley pour n'en citer qu'un. Le tout soupoudré de philosophie taoïste, de façon encore plus explicite que dans le Cycle de Terremer dans la mesure où le titre lui-même est une référence directe au ying et au yang. PS : j'ai eu l'impression d'alterner entre un rapport administratif et un récit de voyage écrit par un.e explorateur.ice du 19ème siècle (ce qui est totalement volontaire et maîtrisé par l'autrice), et malgré tout la fin m'a brisé le coeur et a réussi à me faire verser ma larmichette. Rien que pour ça : Queen Ursula.

On va être honnête tout de suite, La Main gauche de la nuit fait partie de ces livres qui te donnent une envie frénétique de pleurer à chaque fois que tu y repense. Je suis ravagée. J'ai été bombardée de noms impossibles à retenir (les géthéniens utilisent TROIS noms différents selon la proximité avec l'interlocuteur et son niveau de politesse, il faut s'accrocher), de vocabulaire géthénien, de géographie, de politique à faire grincer des dents pour beaucoup trop de raisons différentes, de questions métaphysiques à t'en empêcher de dormir, de personnages tous ultra bien construits et crédibles, dans un monde où les règles de bienséance semblent au premier abord impossible à comprendre et les réactions des géthéniens, à interpréter, alors que la diplomatie est vitale quand on veut faire signer une alliance dans un monde inconnu. Au début on te balance sur Géthen, rude planète d'une température moyenne de zéro degré au printemps, où les gens considèrent souvent les humains extra-géthéniens comme des monstres. Et à la fin tu te sens comme un géthénien, à force d'en avoir côtoyé de toute sortes, simplement fatigué par un terrible voyage. On se raccroche aux petits moments d'amitié, mais aussi d'amour, aussi rares et éphémères que touchants. Mais ce n'est pas une histoire d'amour. C'est une histoire où on fait la connaissance d'un monde, d'un peuple, et de la peur de l'inconnu venu de l'espace. Je vous le conseille pour ses réflexions sur la vie, la société, mais aussi pour son poignant parcours d'un voyageur seul en terre inconnue, en quête d'une alliance de paix intergalactique, et qui découvre tout une culture, de deux pays très différents. (par contre à partir de la moitié du livre ça devient violent faut avoir le coeur accroché !) Et malgré la difficulté d'écrire et faire fonctionner une (des) société.s foncièrement différente.s de la nôtre, l'écrivaine a réussi à rendre le tout parfaitement cohérent et même plus encore : poignant. [masquer]Un des pays, la Karhaïde, fonctionne en monarchie avec des valeurs traditionnelles (mais pas nos traditions terriennes attention) tandis qu'un autre, l'Orgoreyn, est plus moderne sur certains aspects, et fonctionne dans une égalité parfaite entre tous les citoyens, allant jusqu'à séparer les enfants de leur famille dès la naissance pour leur donner tous les mêmes chances. Autant dire que les deux systèmes ont de grandes disparités niveau morale et culture. Il y a également de petits groupes religieux avec leur propre philosophie.[/masquer] Je suis estomaquée de voir un univers aussi bien construit, on voit que U. K. le Guin maitrise à la perfection son univers SF ! (il est d'ailleurs noté 4ème tome ici, mais c'est en réalité un tome qui se lit comme un one shot ! Je n'ai pas lu les autres de la série et ne me suis pas sentie totalement perdue pour autant) A noter que le livre est assez vieux, sortis en 1969 quand même, et du coup même les choses basiques sont parfois difficiles à lire du fait du vocabulaire (j'ai appris quelques mots, je ne m'en plaindrai pas). En revanche il est particulièrement en avance sur son époque, et malgré un léger essentialisme (en même temps les années 60 hein) on n'hésite pas à parler de genre, et de sujets LGBTQI+, sans aucun tabou. J'ai trouvé qu'on forçait un peu sur le sujet de l'hermaphrodisme, mais en vrai je peux comprendre que ça interloquait le personnage principal et ça reste quasiment toujours respectueux donc dans un sens ce n'est pas incohérent. Bref j'ai beaucoup aimé et cette lecture m'a honnêtement bouleversée. Je ne le relirai pas de sitôt, pour ne pas me réinfliger toute la douleur de ce terrible voyage. Plus tard peut être !

Premier Ursula Le Guin pour moi et c'est une satisfaction : univers intéressant, intrigue politique enlevée et la partie roman d'aventures est réussie, en plus d'une forme originale. Cela donne envie d'entrer davantage dans son oeuvre et dans le cycle de l'Ekumen

Ursula K. Le Guin nous embarque cette fois-ci sur la planète Gethen aux côtés de Genly Aï, un terrien « ambassadeur » envoyé pour convaincre les habitants de cette planète de se rallier à l’alliance de l’Ekumen. Le récit alterne entre point de vue de Genly Aï, journal intime d’Estraven et rapport ethnologique d’un ancien observateur ; un procédé déjà utilisé par l’autrice dans ses ouvrages précédents, dont la trame commune est un personnage issu d’une autre planète découvrant et analysant les mœurs et spécificités biologiques des peuples d’une nouvelle planète. Si la main gauche de la nuit a été acclamé par la critique pour son exploitation originale du genre (les habitants de Gethen étant hermaphrodites voire asexués en dehors de leur période de « kemma », où ils prennent alors successivement les attributs d’un genre ou de l’autre pour s’accoupler), je n’ai pas trouvé cette spécificité particulièrement intéressante…au contraire de l’absence de terminologie pour désigner la guerre au sein des sociétés de Gethen ; un trait qui aurait mérité à mon sens d’être plus approfondi. Autre sujet sous-jacent digne d’intérêt : la question de l’exil et de la perte totale de repère dans une société étrangère dont on ne maîtrise ni les codes, ni, dans cet exemple, la sexualité. Je reste cependant sur ma faim avec cet ouvrage, que j’ai trouvé par moment interminable (les simagrées perpétuelles de certains personnages y auront sûrement contribué) là où les premiers tomes de la série étaient suffisamment courts pour qu’on ne s’ennuie pas. C’est donc avec plus d’appréhension que prévu que je lirai le cinquième tome, encensé lui aussi par la critique.