LA NEIGE ETAIT SALE : Le livre de Georges Simenon

Sans un événement fortuit, le geste de Frank Friedmaier, cette nuit-là, n'aurait eu qu'une importance relative. Frank, évidemment, n'avait pas prévu que son voisin Gerhardt Holst passerait dans la rue. Or, le fait que Holst était passé et l'avait reconnu changeait tout. Mais cela aussi, et tout ce qui devait s'ensuivre, Frank l'accepta... Ce roman à pour accroche un crime prémédité et gratuit qui se déclenche une série d'actes dont l'immoralité, assumée avec cynisme, fait descendre leur auteur à une abjection écœurante. C'est du fond de celle-ci que sortira, comme un cadeau du destin, la réconciliation d'un être avec lui-même, racheté par un amour épuré dans l'épreuve.

Ce roman est à la fois captivant et effrayant. Georges Simenon nous entraîne dans une affaire de meurtres tout en nous faisant réfléchir aux mécanismes, parfois machiavéliques, qui s'emparent du subconscient d'un être humain jusqu'à l'amener à commettre l'irréparable. Quels rouages diaboliques peuvent perturber un homme, apparemment saint d'esprit, au point de le transformer en assassin ? Les lecteurs trouveront une partie de la réponse dans cet opus. Passé maître dans l'art de la criminologie et de la psychologie, le spécialiste du polar présente les faits, les analyse minutieusement et tente de nous expliquer l'origine et les causes des comportements déviants de certains individus qui les poussent à tuer. Au-delà de la monstruosité des actes qui ne laissent aucun doute sur la dangerosité des criminels, dans certains cas, il n'est pas simple de faire admettre qu'un coupable puisse être aussi considéré comme une victime et bénéficier, à ce titre, de circonstances atténuantes… et pourtant ! J'ai été bluffée par le récit et le génie de l'auteur est d'avoir réussi à me convaincre qu'il est également possible de ressentir de la compassion pour un assassin qui ne mérite, en apparence, aucune excuse. Ce roman dramatique se déroule durant la deuxième guerre mondiale, il évoque la noirceur de l'âme humaine durant l'occupation avec toutes les horreurs qui en ont découlé, notamment, la jalousie, la méfiance, la haine et les dénonciations. Dans les dernières parties du livre, l'écriture se fait encore plus intraitable. Implacable, elle claque comme un fouet, elle fait mal, elle nous blesse, elle nous bouleverse… on n'en sort pas indemne. Georges Simenon fait décliner progressivement son personnage principal qu'il pousse irrémédiablement vers son funeste destin dans un très long monologue, nous plongeant dans les affres d'une terrible souffrance physique et morale comparable à celle narrée par Victor Hugo dans son roman « Les derniers jours d'un condamné ». Encore un grand Simenon !