La tyrannie du cerveau : Le livre de Jean-Jacques Hublin

Jean-Jacques Hublin est connu, entre autre, pour la découverte avec son équipe franco-marocaine de l’Homme du Jebel Irhoud et sa datation autour de 300000 ans, vieillissant brutalement Homo sapiens de 100000 ans et apportant des informations nouvelles sur les migrations de Sapiens en Afrique. C’est dire qu’il connait le sujet dont il parle. Il nous offre un ouvrage précis, didactique et à la portée d’un public non scientifique arrive à point car, en quelques décennies, la paléoanthropologie humaine a fait des avancées étonnantes. L’apport des techniques d’approches génétiques et physico-chimiques ont totalement bouleversé notre vision de l’Homo sapiens et son intégration dans le peuplement du monde. Pourquoi « La tyrannie du cerveau » ? D’un point de vue énergétique, le métabolisme humain est très supérieur à celui des autres espèces de primates et notre cerveau consomme, en gros, 20% de cette énergie, voire plus chez le nouveau-né et l’enfant. L’évolution d’Homo sapiens va tendre à économiser sur les autres fonctions vitales ou sociales pour fournir à cet organe l’énergie nécessaire, permettant ainsi au cerveau d’augmenter de volume et surtout de se « complexifier ». Ce développement du cerveau va entraîner des transformations physiques du corps humain, des accroissements de fécondités, des innovations dans les interactions sociales, des inventions technologiques permettant en quelque sorte d’économiser pour « nourrir le tyran ». Comme le dit l’auteur, « une longue boucle d’interactions entre le comportemental et le biologique, probablement à l’origine des modifications génétiques et structurelles ». L’expansion de l’espèce et sa structuration sociale vont entraîner des changements importants au Néolithique (disons en gros 10000 ans) avec des mutations génétiques importantes liées à notre coexistence avec des animaux notamment et la transmission de certaines maladies, aux migrations, à des facteurs sociaux, à la diversification de notre subsistance. Avec les changements de pigmentation rapide au cours des migrations, l’Homo sapiens moderne est installé. Cependant les deux derniers chapitres vont tempérer quelque peu votre enthousiasme, car avec la hiérarchisation des sociétés et des comportements sociaux de plus en plus complexes « on observe une baisse des coûts opérationnels du cerveau » et « cette observation[…]est en fait explicable. La mise en place d’une forme d’intelligence collective liée à la complexité sociale, semble alléger la demande de tissus neuraux coûteux capables de soutenir les capacités cognitives de chaque individu » Je vous laisse découvrir le dernier chapitre, synthèse et ouverture vers le futur, prévisible, que certains trouveront plein d’espoir et d’autres inquiétant. Cet ouvrage synthétisant l’état des lieux sur l’évolution de notre espèce, de nos sociétés, sur son comportement face à son environnement et sur le déterminisme induit par le développement de notre encéphale est d’une lecture facile mais riche et vous ouvrira à des questions fondamentales tant sur les développements de la science que sur notre avenir.

Ce livre est une synthèse de l'évolution pas à pas de l'être humain depuis le début de la vie jusqu'à la domination de l'homo sapiens : Evolution du cerveau au fil des âges, comparatifs de développements avec certains animaux et changements climatiques au fil des siècles qui influent sur la croissance du corps et du cerveau rendent cet essai agréable à suivre malgré quelques longueurs. Jean-Jacques Hublin étant un paléoanthropologue sérieux, je ne me permettrais pas de le critiquer. J'aurais juste voulu qu'il insiste plus sur le cerveau lui-même que sur les autres aspects du corps humain comme les os, la dentition, les couleurs de peau, etc... ou des apparitions au fil des âges, des rites funéraires, du feu, du langage, des outils et de l'agriculture, même si ceci explique cela bien sûr ! A ce sujet, si vous voulez tout savoir sur le cerveau actuel, le petit livre de Paolo Bartolomeo, Dernières nouvelles du cerveau (Flammarion 2023) est passionnant et quelque part complémentaire. Néanmoins, La Tyrannie du cerveau est un ouvrage très intéressant pour ceux qui s'interrogent sur l'évolution du genre humain. Ce qui me frappe toujours c'est ce temps extrêmement long (sur plusieurs millions d'années et depuis 300 000 ans pour l'homo sapiens) qui explique les mutations, les migrations, les processus, les développements qui ont abouti à l'émergence d'Homo Sapiens. Quelques faits importants à souligner à nouveau : Le cerveau consomme à lui seul 20% de l'énergie totale de notre corps. Nous sommes issus de l'Afrique de l'Est. Notre cerveau actuel n'est pas le plus gros en volume, celui de Néanderthal était plus important (et l'IA va-t-il le réduire?) Le début de la bipédie s'est fait dans les arbres, et non au sol. Et bien d'autres choses sur ce récit de l'évolution humaine.

Dans ce livre, Jean-Jacques Hublin synthétise ce qu'il rapporte dans ses cours du collège de France où il occupe la chaire de paléoanthropologie. Après un tour d'horizon rapide du fonctionnement du cerveau, il rappelle que celui-ci représente 2% de la masse corporelle mais 20% du métabolisme basal. L'augmentation de la taille du cerveau dans les lignées qui mènent à Sapiens ou qui l'entourent implique donc l'accès à une quantité d'énergie toujours croissante. Un grand cerveau pose des problèmes obstétricaux et métaboliques. La croissance cérébrale est donc en grande partie différée APRES la naissance, ce qui a d'immenses conséquences sur les propriétés de notre encéphale, sur notre mode de reproduction, sur les structures familiales des sociétés humaines et sur notre rapport au monde et aux autres. Les trois quarts du développement en volume de l'encéphale ont lieu après la naissance, avec un effet déterminant sur les capacités cognitives de nos ancêtres. Notre ordinateur intérieur est continuellement reconfiguré alors même que le jeune enfant (complètement dépendant des adultes) interagit avec un environnement physique et social qui le sollicite sans cesse. Cela implique des groupes qui peuvent garantir une longue protection aux enfants et adolescents et donc des systèmes sociaux relativement élaborés et des comportements complexes. Le développement des jeunes individus n'est pas en effet du ressort exclusif d'une femelle isolée mais il est le résultat des efforts coordonnés des adultes du groupe. Ce mode de fonctionnement des sociétés humaines du passé a eu de profonds effets sur leur reproduction et leur démographie mais aussi sur leur économie et la manière dont la famille s'est organisée. Il a également affecté de façon déterminante le développement psychologique et affectif des individus (capacité extraordinaire de notre espèce à deviner les pensées et intentions d'autrui). En ce qui concerne les temps paléolithiques les plus récents, les comparaisons avec les chasseurs-cueilleurs contemporains ne sont évidemment pas à rejeter totalement, et ceux-ci peuvent nous apprendre beaucoup sur les modes d'adaptation que leurs économies de subsistance impliquent. Cependant, plus on s'éloigne dans le temps, plus il devient difficile de mettre en œuvre ces rapprochements. En effet, Il n'y a pas de modèle universel d'exploitation de l'environnement par les chasseurs-cueilleurs modernes. Les contraintes écologiques pèsent fortement sur l'économie et le mode d'organisation de ces groupes. De plus, nous avons tendance à projeter dans le passé les préoccupations du présent. Comment sommes-nous devenus humains? L'évolution humaine est en grande partie le résultat de ce que les biologistes appellent "construction de niche". C'est le processus par lequel une espèce modifie son environnement pour le rendre plus favorable à son succès reproductif. Chez les humains, cela ne concerne pas seulement l'environnement physique mais affecte aussi les sphères sociale, neurale et cognitive (avec le langage en particulier). L'outil y tient une place centrale car il a permis des modifications de l'environnement à une échelle inconnue chez d'autres espèces. C'est tout ce développement et ses boucles de rétroaction que Hublin déroule en comparant (avec précaution) avec les sociétés de chasseurs-cueilleurs contemporains, en regardant systématiquement ce qui existe ou pas chez les autres primates, en gardant en tête la permanence des processus évolutifs jusqu'à nos jours. Des pages très stimulantes !

Clair et concis, cet ouvrage nous livre une synthèse des dernières connaissances sur l’évolution de l’homme depuis la préhistoire. On y comprend la co-evolution de l’homme avec son environnement et pourquoi la maturation du cerveau du petit homme après sa naissance à été décisive et lui a permis d’évoluer comme nul autre être vivant.