Le maître ignorant : Le livre de Jacques Rancière

Voici un livre étonnant, très intéressant et en même temps complexe à lire. L’auteur nous raconte le parcours de Joseph Jacotot. Parcours qui le conduit à « inventer » une méthode d’éducation à partir d’un simple livre bilingue « Télématique » de Fenelon. Cette approche a été reprise, entre autres par Mitra en Inde avec le "trou dans le mur" (voir la vidéo sur Youtube : « a hole in the wall »). L’auteur souligne bien l’originalité, surtout en 1818, d’une telle démarche : les intelligences sont égales et aider tout esprit à découvrir par lui-même le conduit à s’émanciper des dogmes intellectuels. Les résultats en sont étonnants. A une époque où peu de gens savaient lire et écrire et où la connaissance et le savoir étaient aux mains de quelqu’uns, clamer et mettre en oeuvre une démarche qui permet à un homme pauvre (synonyme l’époque d'ignorant) d’éduquer son fils est révolutionnaire. L’auteur va même plus loin : il parle d’abrutissement des consciences par le formatage que nous recevons de nos enseignants et formateurs. Il va même jusqu’à écrire que la maïeutique, la méthode de Socrate, contribue à cet abrutissement. Cela nous conduit à réfléchir : la maïeutique peut être « abrutissante », si elle est un peu trop orientée au niveau des questions. Cela rejoint la question du formatage. D’abord, nous sommes formatés durant nos études, puis ensuite dans nos organisations, et enfin dans la vie quotidienne par les médias. Si, inconsciemment, nous projetons dans notre questionnement nos biais, nos propres schémas de pensée, nous orientons la réflexion de notre interlocuteur. C’est ce que font volontairement les politiques et nos sources d’information. pour ma part, j’ai depuis de nombreuses années diversifier mes sources d’information tant entre médias français qu’entre médias français et étrangers. Cela pose la question de l'émancipation, qui est celle de considérer toutes les intelligences égales. Etre un émancipateur, ce n’est pas contrôler la justesse d’un travail, mais si l’émancipé a pris en compte tous les paramètres attenants. Comme le souligne l’auteur, un homme « ignorant » (sans savoir intellectuel) peut « émanciper" ses enfants. Cela rejoint un livre lu précédemment : "l’intelligence de l’autre ». L’auteur, Michel Sauquet, qui a développé de nombreux programmes de coopération à travers le monde y montre bien que tout le savoir et savoir-faire des coopérants ne prend pas toujours en compte la sagesse et le savoir des populations locales et que pour ces derniers, modernité ne veulent pas dire rompre avec la tradition, mais faire évoluer la tradition. L’exemple même aujourd’hui que des modèles économiques différent du modèle US, par exemple, réussissent, soulignent que personne n’a l’apanage du savoir et du savoir intellectuel. C’est donc à une leçon d’humilité que nous conduit l’auteur. Deux limites : la première a été l’incapacité de ceux qui convaincus de la méthode ont voulu la déployer à grande échelle. C’est peut être à la fois pour des raisons individuelles et collectives. Raison individuelle : savoir faire du Jacotot n’est pas à la portée de tout le monde et notre propre envie de transmettre peut prendre le pas sur laisser chercher l’autre. Raison collective : dès que nous « organisons » la créativité ou la liberté de penser, nous l’anesthésions. La deuxième limite est propre au livre : je l’ai trouvé difficile à lire par moments. Peut-être parce que je suis allergique au style philosophique. En tout cas, un livre interpellant. A lire !