LE PORT DES BRUMES : Le livre de Georges Simenon

Quand on avait quitté Paris, vers trois heures, la foule s’agitait encore dans un frileux soleil d’arrière-saison. Puis, vers Mantes, les lampes du compartiment s’étaient allumées. Dès Evreux, tout était noir dehors. Et maintenant, à travers les vitres où ruisselaient des gouttes de buée, on voyait un épais brouillard qui feutrait d’un halo les lumières de la voie. Bien calé dans son coin, la nuque sur le rebord de la banquette, Maigret, les yeux mi-clos, observait toujours... Le personnage principal du roman est d’abord le port d’Ouistreham. L’histoire tourne autour de quelques personnages, Yves Joris, ancien capitaine de marine marchande, sa servante depuis 8 ans, Julie Legrand, 24 ans et son frère, Louis Legrand, ancien bagnard (8 ans) et marin sur la goélette Saint-Michel, le maire, Ernest Grandmaison, directeur d’une société de navigation, et Jean Martineau, français naturalisé norvégien. Comme souvent, c’est le passé des personnages qui refait surface et explique leurs comportements. Comme d’habitude, Maigret s’installe sur place, à l’hôtel L’Univers, pour s’imprégner de l’ambiance et pénétrer la psychologie des personnages. Une captivante enquête qui comprend plusieurs rebondissements et Maigret se fait même ligoter par des fuyards.

Après avoir été blessé d'une balle de revolver au crâne, un mois auparavant, Yves Joris, le capitaine du port de Ouistreham, est empoisonné chez lui à l'aide de strychnine... Les principaux suspects ne sont au courant de rien ou mentent, au point qu'on pourrait croire qu'ils ont tous quelque chose à se reprocher, qu'ils sont tous complices. Tous se retranchent derrière un silence oppressant, qu'il s'agisse de M. Ernest Grandmaison, armateur et maire de la ville, passé à tabac par Grand Louis, un ancien bagnard, propriétaire de la goélette le « Saint-Michel », ou bien de Jean Martineau qui ne sait pas par quel moyen il est venu de Norvège en France et qui ne connaît ni M. Grandmaison, ni Grand Louis, ni le capitaine Joris… Quant à Julie, la soeur de Louis, gouvernante et héritière de la fortune du capitaine Joris, elle en sait encore moins que les autres… Georges Simenon nous plonge dans une intrigue captivante, au coeur de l'atmosphère pesante et délétère d'un huis-clos, mettant en exergue le caractère taciturne de la communauté des marins, têtus et peu habitués à côtoyer des étrangers envers lesquels ils se montrent peu loquaces et dont, la plupart du temps, ils se méfient. Et force est de constater que cette inertie farouche ne facilitera pas les investigations du commissaire Maigret qui aura bien du mal à trier le bon grain de l'ivraie pour élucider ce crime. Il ne peut évidemment pas songer à arrêter tous les suspects potentiels étant donné que les bizarreries, les mensonges ou les contradictions de chacun d'entre eux ne représentent pas une charge, à proprement parler. Et pourtant, au milieu de ce mutisme ambiant, les attitudes des uns et des autres semblent bien équivoques : une gêne permanente, les coups d'oeil échangés et les regards désespérés laissent présager des intentions peu louables et une bien triste vérité… Le romancier révèle une fois de plus sa grande expertise dans l'art de présenter les noeuds inextricables de ses énigmes, des liens complexes qu'il a tressés à sa façon, d'une manière presque machiavélique. Dans cet opus, il utilise tout son génie narratif pour guider et développer l'intuition du commissaire doté d'un flair à toute épreuve, apte à déjouer les pièges habiles que ne manqueront pas de lui tendre un groupe de marins, pressés de prendre le large. L'épilogue jaillira après de multiples rebondissements, aussi surprenants les uns que les autres, et tous les éléments de cette affaire dramatique seront minutieusement et progressivement reconstitués, à la façon d'un puzzle, afin de faire éclater la vérité. Tout comme le chantage cède parfois le terrain au crime, le désespoir peut pousser un assassin au suicide… Encore du grand Simenon !