Les hirondelles de Kaboul : Le livre de Yasmina Khadra

C’est un roman qui m’a sorti de ma zone de confort. Le récit est fort, brut, saisissant. C’est un Kaboul écrasé sous le joug des Talibans, où la vie se rétrécit à l'ombre de la peur et de l'oppression, que l’on découvre. À travers les destins croisés d'Atiq, geôlier désabusé, et du couple Mohsen-Zunaira, l'auteur explore avec une acuité déchirante les ravages du fanatisme sur les âmes et les cœurs. L'espoir vacille, étouffé par la violence et les interdits, mais une lumière fragile persiste dans l'humanité des personnages. Et heureusement qu’elle est là, cette lueur. Ça redonne confiance en l’âme humaine. Ca n’a pas été simple écouter cette histoire. Certains passages sont durs, certaines attitudes horribles, mais c’est même tant mieux d’un côté. On s’interroge sur la résistance de l'amour, sur la dignité face à l'anéantissement. On scrute l’intime de tous ces êtres, hommes ou femmes, sur leurs luttes intérieures, sur les choix déchirants qu’ils ont faits. Alors, merci Yasmina Khadra, pour ce récit poignant et essentiel. Merci pour cette ode tragique à un peuple pris au piège de l'inhumanité, où chaque personnage incarne un fragment de cette lutte universelle entre désespoir et espoir.

Eh bien, Yasmina Khadra me surprendra souvent je pense ! Le Bibou est bien de mon avis aussi. C'est écrit avec une véritable poésie ! Les mots justes, une mélodie dans l'horreur et la complexité. Deux couples, quatre personnages prépondérants, une culture, une éducation, des codes différents de ceux du monde occidental... Un livre étonnant !

Je reviens du Rwanda que j'ai découvert avec Petit pays, un coup de coeur. Je viens de prolonger ce voyage aussi intéressant que passionnant que déprimant avec Jacaranda, témoignage accablant de Gaël Faye qui revient sur ses traumatismes familiaux, avec un nouveau point d'ancrage, un jacaranda, arbre séculaire qui a valeur métaphorique de refuge, de mémoire, de havre de paix. Je ne prends pas le temps de poser mes valises que me voilà repartie pour Kaboul. Ce que le jour doit à la nuit m'a tellement plu, qu'il y a quelques jours j'ai visionné le film, d'une beauté plastique remarquable, dont certains détails diffèrent du livre, une expérience enrichissante. En général, je fais plutôt le contraire : je suis tellement emballée par une pièce ou un film que je prolonge le plaisir par le livre. Ici, j'ai eu l'impression que si je n'avais pas lu le livre je n'aurais pas bien saisi les ressorts de l'intrigue. Après ma critique Babelio, @Denis_76 et @Michel69004 m'ont conseillé d'enchainer avec Les hirondelles de Kaboul. Je l'ai donc réservé à ma médiathèque, et dans l'attente, j'ai failli déchanter quand j'ai vu la critique de @Gurb : « La plus brève de mes chroniques. « Au diable vauvert, une tornade déploie sa robe à falbalas dans la danse grand-guignolesque d'une sorcière en transe ; son hystérie ne parvient même pas à épousseter les deux palmiers calcifiés dressés dans le ciel comme les bras d'un supplicié. Une chaleur caniculaire a résorbé les hypothétiques bouffées d'air que la nuit, dans la débâcle de sa retraite, avait omis d'emporter. Depuis la fin de la matinée, pas un rapace n'a rassemblé assez de motivation pour survoler ses proies ». Et pourtant à la lecture de cet incipit, les hirondelles de Kaboul, s'envolèrent épouvantées et Gurb, l'extraterrestre -et votre serviteur- sidéré par cet extrait de la littérature des hommes, referma le livre et s'en retourna auprès du Petit Prince. » Gurb a raison, ce prologue est du salmigondis, à tel point que je me demande si c'est bien Yasmina Khadra qui l'a écrit, mais c'est peut-être aussi une façon d'exprimer sa confusion mentale, son incapacité à dire l'indicible. Dès le premier chapitre, je retrouve la prose qui m'a séduite dans Ce que le jour doit à la nuit, une prose équilibrée, agréable, didactique, avec ce qu'il faut de lyrisme pour nous toucher sans tomber dans le pathos, car Yasmina Khadra plonge dans les bas-fonds de notre société. Je lui suis reconnaissante de garder le recul nécessaire, sans discours idéologique ostentatoire. Ce n'est pas de la grande littérature mais c'est une littérature engagée, attractive et intéressante. Je suis une hirondelle, je succombe sous les cailloux destinés à me lapider, soit je suis morte, soit je suis folle… Que dire de plus face à cette frustration d'impuissance devant tant de violence, cette frustration que chacun reste cantonné dans sa culture, cette frustration de ne pas comprendre - même sentiment avec l'Afghanistan que le Rwanda -, frustration de ne pas connaitre de si beaux pays, frustration de ne pas parler leurs langues, frustration d'ignorer leurs richesses culturelles, frustration de ne connaître d'eux que leurs conflits ethniques, leur obscurantisme religieux… ? Gael Faye parle de sa famille et retrace l'histoire du Rwanda, tandis que Yasmina Khadra invente un fait divers pour nous sensibiliser à la cause des femmes, à l'obscurantisme meurtrier des talibans. Je suis plus sensible à la « méthode » de Yasmina Khadra qu'à celle de Gaël Faye. Dans ce roman court, Yasmina Khadra réussit à créer l'illusion d'une fiction avec une économie de mots, de faits et de personnages, en allant à l'essentiel, pour nous décrire, nous faire ressentir, voire nous faire vivre, cette abominable réalité. C'est une sorte d'allégorie avec cinq personnages clés, auxquels nous pouvons plus ou moins nous identifier, qui symbolisent la soumission à l'état (Atiq Shaukat), le féminisme (Zunaira, Mussarat), l'idéalisme (Mohsen Ramat), la mégalomanie (Qassim Abdul Jabbar), la démission (Nazish), le tout orchestré par la main invisible incarnée par les talibans. La porosité des frontières nous titille et interpelle. Ces cinq personnages symboliques se bousculent dans ma tête. Les hirondelles de Kaboul vont continuer à me hanter longtemps.

Les hirondelles de Kaboul, ce sont ces milliers de femmes, enfermées sous une tente noire par 40°, victimes d'un terrorisme de tous les jours, un terrorisme "normal" que l'on rencontre le matin, en allant chercher du pain. Mais c'est aussi le malheur de tous ces gens, hommes, femmes, gardien de prison, fermiers, vieillards... tous ces gens qui voudraient juste vivre, et qui sont soumis, malgré eux, à une minorité de personnes elles mêmes soumises (sans en avoir vraiment conscience) à une micro minorité dont le terrorisme est l'outil de base. Ce livre m'a beaucoup marquée parce qu'il donne une vision multiple d'une situation dont on a souvent une vision prismatique.