Les Naufragés - Avec les clochards de Paris : Le livre de Patrick Declerck

Paru en 2001, ce livre double est devenu anthologique. Pas très connu mais anthologique. On le dit inclassable car c'est à la fois un document et de la littérature. Il y a ainsi des chapitres entiers de grande littérature, comme celui intitulé "Dream time". C'est très noir, très célinien. On sent la même désillusion sur l'humanitude que chez Céline. Villon réincarné en aventurier- poète des déchéances humaines modernes, rebelle à la pensée formatée, sans illusion sur l`humanité, Patrick Declerck n`est certes pas un de ces gentils auteurs "dans l`air du temps" qui définissent cet humanisme insipide qui règne de nos jours sur la bienpensance européenne. La première partie, intitulée "Routes", est un voyage au bout de la nuit sur la planète SDF. On reste à Paris, mais on se doute que le ticket est valable pour toutes les grandes villes de France. Ailleurs en Europe et dans le monde, il faudrait voir au cas par cas. Âmes sensibles s'abstenir. La deuxième partie, intitulée "Cartes", est une analyse critique des échecs de la prise en charge institutionnelle, notamment dans les aspects de l'exclusion, de la relation soignant-soigné, de la réinsertion sociale, de la fonction asilaire et de l'aide sociale. Le monde littéraire est injuste. On encense souvent des bouquins nuls d'écrivains qui n'ont jamais rien vécu et qui n'ont donc rien à dire mais qui compensent avec une belle gueule faisant phantasmer les lectrices. le livre de Patrick Declerck n'est pas de ceux-là, c'est un "Voyage au bout de la nuit" vécu et que je trouve aussi bien écrit que le voyage imaginaire de Céline. Si la première partie était une fiction et non un document, cela aurait été un grand roman, mieux même que celui de Céline.

Une lecture faisant suite à la rencontre de l'auteur lors d'un colloque organisé à Charleroi ayant pour thème la ville, son architecture et ses habitants. Chroniquer un livre lu il y a une dizaine d'années, c'est presque mission impossible. J'évoquerai donc plutôt ici un ressenti, un souvenir, qu'une critique du texte. Je me souviens avoir été interpellée par la prise de parole de Patrick Declerck expliquant son parcours et surtout son travail auprès des SDF et autres clodos parisiens. Il est évident que la ville a des responsabilités quant à la présence, la survie de ces personnes dans ses rues. Les choix de mobilier urbain, d'abris de passage, sont des choix politiques qui rendent l'espace plus ou moins accueillant. Préférer des reposes fesses à des sièges confortables imposent aux précarisés de ne plus pouvoir s'installer pour se reposer. Ne plus proposer de banc et même de structure semi fermées aux arrêts du bus imposent que l'on n'arrive plus à se mettre à l'abri des intempéries nulle part. C'est dans ces villes rénovées que ces personnes sont tolérées mais à condition qu'elles soient le moins visibles possible. Le livre est une succession de moments forts, de témoignages, de rencontres, les nuits de maraude, l'accueil des plus mal en point à l'hôpital, des petites bulles intemporelles durant lesquelles ils arrivent à refaire surface avant qu'inexorablement on les renvoie d'où ils viennent. C'est un livre poignant qui raconte la vie la plus absurde et la plus horrible qui soit, tout en relatant parfois des anecdotes hilarantes, ce qui en rend la lecture supportable, et qui donne envie de continuer à le lire. Tant de misère, de tristesse, de maladies, de morts, de déchéance dans cette ville si riche et si belle, deux faces d'une pièce tellement opposées. Un souvenir puissant d'un sentiment d'injustice, de tristesse mais aussi de profond respect pour le travail des médecins, assistants sociaux et autres bénévoles qui s'investissent à corps perdu pour tenter de redonner un peu de chaleur et d'humanité à ces personnes tellement vulnérables et seules au monde.