L'usage du monde : Le livre de Nicolas Bouvier, Thierry Vernet

L'Iran, l'Afghanistan, la Turquie... en voiture, au début des années 50, c'est une vraie aventure. Nicolas Bouvier, alors âgé de 24 ans en 1953, l'a tentée avec son ami Thierry Vernet et nous la raconte à travers ce livre. Souvent, quand on lit un récit de voyage, on a surtout droit à des réflexions intimes de l'auteur, voire à son introspection. Avec Nicolas Bouvier, ce n'est pas du tout le cas. Nous avons ici un vrai récit de voyage, de ceux dans lesquels on plonge en qualité de touriste et qui nous font marcher dans les pas des habitants du cru. L'auteur prend le temps de vraiment nous raconter son périple, ce qu'il vit, ce qu'il voit, ce qu'il sent, ce qu'il entend... Bien loin de la carte postale, Nicolas Bouvier nous embourbe avec lui sur les chemins, nous enferme dans une geôle iranienne, nous fait pénétrer dans les maisons et les postes de douanes, nous fait attendre chez les garagistes, nous fait tester les pratiques médicales orientales... le livre est truffé d'anecdotes bien souvent racontées avec un humour pince-sans-rire qui rend le voyageur de plus en plus sympathique au fil des pages. L'ensemble du périple est mis en perspective par son auteur dans le contexte historique et géo-politique de l'époque ainsi qu'à travers une réflexion plus éthique sur le rapport aux autres, ici et ailleurs, aujourd'hui et demain. Par ce dernier aspect, ce récit reste résolument moderne.

Ecrivain voyageur Nicolas Bouvier livre en 1963 ce récit illustré de voyage réalisé 10 ans plus tôt, à l'âge de 24 ans, en compagnie de Thierry Vernet, à travers l'ex-Yougoslavie, la Turquie, l'Iran, le Pakistan. Tournant le dos au confort de son milieu, Nicolas Bouvier, aussi loin du tourisme de masse , se frotte aux "vrais gens", aux logeuses, mendiants, saltimbanques, mécanos, militaires et qui déterminent son parcours rude et accidenté.

L’usage du monde de Nicolas Bouvier est aujourd’hui considéré comme l’un des chefs d’œuvre de la littérature de voyage (alors qu’il était passé relativement inaperçu à sa sortie) et je ne peux que partager cet avis. Ce récit m’a transportée dans les pays traversés par l’auteur et il n’a pas pris une ride alors que le voyage s’est déroulé dans les années cinquante. L’écriture est magnifique, à la fois simple et poétique. Je voudrais aussi saluer le soin apporté par les éditions La découverte à l’édition en format poche (un peu augmenté) qui reprend les magnifiques illustrations de Thierry Vernet. Ces dessins ajoutent une dimension au voyage.

1953, deux jeunes amis, l'un peintre, l'autre écrivain, partent vers l'Est à la recherche d'émerveillement. Grand récit de voyage certes, mais surtout grand livre sur la construction de soi, l'autre et la nature. Cet ouvrage se doit d'être toujours à portée de main, afin d'y puiser une énergie salvatrice. Nicolas Bouvier a réussi à atteindre ce à quoi peu sont parvenus : un pur récit de voyage, dans la grande tradition de la découverte et de l'émerveillement, en même temps qu'une réflexion éthique et morale sur une manière d'être au monde parmi ses contemporains, sous toutes les latitudes. De son écriture profonde, délicieuse et intelligente c'est la référence de la littérature de voyage.