Malpertuis - Histoire d'une maison fantastique : Le livre de Jean Ray

Un retour à Malpertuis plus de dix ans après ma première lecture, et un plaisir de lire toujours aussi intense, si ce n'est plus encore. Certes, par certains aspects, le roman a vieilli. Dans sa construction, dans son langage, dans ses références... Mais il est en même temps tout ce qu'il y a de plus moderne et concentre à peu près tout ce qu'on aime, aujourd'hui, dans le fantastique horrifique. Un incontournable !

C'est un classique du genre! Entre fantastique et horreur. Jean Ray est le digne successeur d'Egard Poe. L'histoire ne s’éclaircit qu'à la fin. Assez complexe, elle implique la relation entre les hommes et les dieux. C'est probablement son meilleur livre et si vous n'en lisez qu'un, lisez celui-là. Jean Ray a écrit aussi le carrousel des maléfices ou le livre des fantômes, entre autres...

Jean RAY [1887-1964], naquit Raymond Jean-Marie de Kremer d'une famille petite-bourgeoise néerlandophone en sa ville vénérable de Gand (fameuse cité-état médiévale, capitale de l'ancien Comté de Flandre, ville portuaire, grande cité drapière et commerçante, encore loin des rivages d'Ostende qui, par une diagonale axiale du nord-ouest au sud-est, "de Bruges à Gand" nous amène à la grande Bruxelles ) : bref, un environnement chargé d'histoire et d'un peuple tôt confronté au "devoir vivre ensemble" et à l'âpre impératif de sa subsistance. Cela vous marque un homme. Là où une banale escroquerie vous vaut trois années de cabane [1926-1929] et le déshonneur en ces Terres de catholicisme gorgées d'eau bénite (Refredonnons "Les bigotes " de l'ami BREL, après avoir été envoûtés par le charmant et puissant bilinguisme de "Marieke"). Se refaire un nom, une réputation, une trajectoire personnelle... L'impératif de survie, "l'école de la vie" que connut Simenon... sauf que Ray-Raymond J.M.D.K. (comme d'autres se nomment Aimé de Mesmaeker) voyagea, certes, mais quitta rarement Gand, quand Simenon dès ses 16-17 ans, lâcha "son" Liège pour prendre le train de Paris, cordon ombilical tranché dès la mort précoce de Désiré le père... Ray se vendit, corps et âme, aux damnées "revues et gazettes" : il apprit le métier comme "Georges Sim" : en produisant beaucoup, beaucoup, beaucoup... Il s'agissait bien d'en vivre. Glissant comme une anguille de l'impératif de sous-littérature alimentaire à la littérature moins nutritive qu'il s'agit de passer parallèlement en contrebande (sans passer par la "semi-littérature" que revendiquait Simenon en entamant quarante années de "Saga-Maigret"). Feuilletonniste acharné ("Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain") : notre homme SAIT écrire, organiser une intrigue, choisir le vocabulaire le plus adapté à celle-ci, être à la fois prolixe et intéressant... Auteur inégal mais terriblement imaginatif (on le sait depuis ses "Contes du Whisky" de 1925, précédant l'épreuve carcérale), à la créativité magistrale en matière linguistique : une sorte de Joris-Karl HUYSMANS, au fond... Et nous arrivons aux années de guerre, la monstruosité de 1939-1945 avec Hollande, Belgique et France envahies par leur voisin lycanthrope et hurleur en mai 1940. "Malpertuis" en naîtra : en 1943, précisément. Avec ses meilleures histoires, entre 1942 et 1944, "au coeur de l'épouvante", si l'on peut dire : en Belgique occupée. Là où le frère cadet Simenon "collabora", Ray produisit le meilleur de son monde imaginaire. Les anciens Dieux et déesses de la Grèce antique ramassés par une équipe de forbans aventureux dans une île autour de l'Attique... Rassemblés dans une bâtisse formidable, labyrinthique et ténébreuse, une sorte d' "Arkham" sur les bords de l'Escaut... Déités déchues, inutiles, dérisoires. Une formidable aventure, emplie d'épisodes inoubliables, cocasses, inattendus et effrayants... [Une intrigue qui fut d'ailleurs fort mal servie et comme platement "illustrée" par une poussive, anecdotique, théâtreuse et fort décevante adaptation cinématographique due à Harry KUMEL en 1971, fort peu inspiré malgré Orson Welles...]. Un livre polyphonique étonnant, qui se "mérite" comme on dit...

Malpertuis : une maison sombre et terrifiante où se réunissent plusieurs personnes afin d’assister à la mort de Cassave qui leur donne un héritage fort étrange. Ils doivent tous rester dans cette maison, et le dernier survivant héritera de tout. Commencent alors des nuits de cauchemars. Quelle lecture ! Ça n'a pas été de tout repos, et pas vraiment facile, niveau vocabulaire et références il faut quand même s'accrocher. Néanmoins, l'ambiance était celle que je recherchais : un manoir sombre où se trame quelque chose de tragique. Jean Ray mêle habilement le fantastique à la mythologie et à certaines légendes, comme celle du loup-garou, dans ce roman. Le suspense est bien présent et surtout il faut une sacré imagination pour trouver la fin que je n'avais absolument pas vue venir. C'est très imaginatif. Même si parfois les phrases sont un peu lourdes, ça reste néanmoins un classique du fantastique à découvrir et pas une mauvaise lecture !