Mémoires intimes - Suivis du livre de Marie-Jo : Le livre de Georges Simenon

Georges SIMENON (1903-1989) a eu 4 enfants, Marc (1939-1999) avec sa première épouse Régine alias Tigy (1900-1985), puis, avec sa 2ème épouse Denyse (1920-1995), Jean alias Johnny (1949-), Marie-Jo (1953-1978), Pierre (1959-). Marie-Jo s'est suicidée d'une balle dans le coeur à l'âge de 25 ans. Dans ces Mémoires intimes écrites en 1980, deux ans après le suicide de Marie-Jo, pour exorciser ses démons, apaiser sa culpabilité, aussi lui rendre hommage et l'immortaliser à ses côtés, Simenon retrace son parcours d'époux et de père de famille, s'adresse directement à ses enfants dans un dialogue intime où tous ses souvenirs avec chacun sont évoqués. On suit, au fil des nombreux déménagements, sa vie affective et amoureuse avec les quatre femmes de sa vie, ses deux épouses, Tigy avec qui il restera ami, Denyse alias D, la passion amère, Térésa sa dernière compagne, sans oublier Boule, la nounou-cuisinière de toujours. Denyse, la mère des 3 enfants, longtemps assistante littéraire envahissante et inefficace aux côtés de son mari, finira dans un hôpital psychiatrique et jouera un grand rôle dans les causes sous-jacentes du suicide de Marie-Jo. Jalouse et haineuse envers son mari, elle intentera un procès et multipliera les démarches pour lui soutirer de l'argent. La dégradation de la santé de cette femme, le fonctionnement, l'évolution puis l'échec du couple sont très bien décrits. Térésa prendra le relais en toute discrétion d'abord, puis ouvertement jusqu'au décès de Simenon, le soignant avec abnégation suite à ses accidents domestiques et ses premiers soucis de santé. Marie-Jo tient une grande place bien-sûr et les 120 dernières pages sont consacrées au « Livre de Marie-Jo », une reproduction de lettres à son père, poèmes, chansons et journal intime. Coincée entre une mère peu maternelle, de plus en plus autoritaire et dérangée, et un père idolâtré, vénéré, dont elle n'aura pas réussi à se détacher, au point qu'elle se fera offrir à l'âge de 8 ans une vraie alliance avec laquelle elle demandera à être incinérée, elle souffrira d'angoisses, cherchera son identité et sa voie professionnelle par de multiples orientations avortées (chanson, artiste, écriture, cinéma) avant de se libérer par le suicide. Certaines pages, de Simenon ou de Marie-Jo sont bouleversantes. Le livre n'est pas clair sur le traumatisme subi par Marie-Jo avec sa mère, le mot inceste est évoqué mais sans être explicité. Par contre, des velléités d'inceste avec son père ont réellement existé. Le récit dans son ensemble contient des longueurs par rapport aux nombreux souvenirs de Simenon avec ses enfants ou le détail des déménagements successifs. Pour le lecteur extérieur ce sont beaucoup d'anecdotes sans intérêt, mais il faut savoir au besoin lire en diagonale ces évocations et reprendre plus loin sa lecture attentive. Le récit est intéressant pour comprendre l'homme Simenon, papa-poule adorant ses enfants, homme simple et modeste quant à ses valeurs, saines, et ses ambitions (la vérité, l'homme nu, la femme « nature »), proche de la nature (pêche, bateau, marche, faune et flore), écrivain prolifique et très organisé, aux appétits sexuels insatiables et aux moeurs libres en ce domaine. Homme très intéressant, vie riche et passionnante. Simenon me fait penser à Maupassant (La sensualité, les femmes, l'amitié, la nature, le bateau, la mer, le réalisme). On traverse aussi avec plaisir un siècle d'artistes à travers les nombreux amis de l'écrivain (Jean Renoir, Michel Simon, Marcel Pagnol, Jean Cocteau, Jean Gabin, Raimu, les frères Kessel, André Gide, Pierre Lazareff, Fernandel, Marcel Achard, Pierre Benoit, André Maurois, Maurice Garçon, Bernard de Fallois, Thornton Wilder, Roberto Rossellini et Ingrid Bergman, Chaplin, ses éditeurs). J'avais déjà lu la biographie de Simenon par Pierre Assouline, ces « Mémoires intimes » sont un excellent complément.