Piranèse : Le livre de Susanna Clarke

Piranèse fait partie de ces lectures inclassables, que l'on referme avec des images plein la tête, des étoiles plein les yeux et une infinie tristesse de quitter ce Monde labyrinthique qu'est le Palais. On accompagne Piranèse dans ses déambulations oniriques au sein du Palais, un labyrinthe peuplé de milliers de salles et de statues. Les salles du premiers niveau sont soumises aux marées qui vont et viennent au grès de cycles mystérieux. Tantôt les vagues submergent le marbre et viennent se fracasser contre les murs, tantôt la marée se retire et laisse à découvert des algues et autres coquillages. Les salles du troisième niveau sont le royaume des nuées, des oiseaux et des nuages aux formes étranges. Au second niveau vit Piranèse, un jeune homme qui s'est donné pour mission de cartographier le Palais, ses statues, le ciel et comprendre le cycle des marées. Régulièrement il rencontre l'Autre, second habitant de cet Endroit mystérieux, et lui fait part de ses découvertes. Lorsque l'apparition d'un troisième habitant semble imminente, c'est la vie entière de Piranèse qui bascule. Dans ce récit onirique se niche l'ombre d'un thriller. Une quête de vérité, de faire la part entre le réel et l'imaginaire. L'auteure réussit un tour de force: nous embarquer dans ce huis-clos à l'univers Démesuré et Magnifique, plongés dans les pensées d'un personnage aussi naïf qu'attachant. Une pépite!

En voilà un roman peu ordinaire ! Je l’ai lu car il etait recommandé pour les personnes ayant aimé la mer sans étoiles et je vois les similitudes ! J’ai beaucoup aimé tout le debut où on se perd, on ne sait pas quoi croire, on decouvre l’univers d’une manière très poétiques avec des images fortes et poignantes. Et puis au fils des pages on commence a comprendre et le roman prend une tornure beaucoup plus froide et dramatique mais aussi beaucoup plus haletante !

Piranèse de Susanna Clarke est une œuvre singulière et troublante, qui fascine par son originalité et son atmosphère énigmatique. À mi-chemin entre le rêve et l'étrange, ce roman offre une immersion dans un univers captivant, où chaque salle, chaque marée et chaque mystère semblent murmurer une vérité cachée. Si ce n'est pas tout à fait un coup de cœur, il n'en demeure pas moins une expérience littéraire mémorable, qui bouscule les repères du lecteur tout en le laissant émerveillé devant la richesse de l'imaginaire de l'autrice. Une œuvre à part, qui mérite qu'on s'y perde.

La Cent Quatre-Vingt-Douzième Salle Ouest Entrée pour le Vingtième Jour du Sixième Mois de l’An où l’Albatros est arrivé dans les Salles Sud-Ouest Je quitte Piranèse avec une joie vive mêlée de la tristesse de cette séparation. Mais la Beauté du Palais est incommensurable, sa Bienveillance infinie, alors nous nous retrouverons. Je viens de faire une expérience de lecture absolument admirable. Parce qu’il ne s’agit pas que de lecture mais aussi de sensations océaniques, d’émotions hiérophaniques, de révélations pétrophiliques. Vous n’y comprenez rien et c’est bien normal. Susanna Clarke écrit là un livre labyrinthique dans lequel on s’immerge facilement et qui devient purement addictif. Tout commence comme dans ce billet, nous lisons un journal aux entrées magnifiquement poétiques, très éloignées du calendrier grégorien. Nous suivons Piranèse dans le Palais. Le Palais est un Être-Monde comportant des milliers de salles disposées en labyrinthe sur trois niveaux. Le niveau le plus bas est immergé et quasi-inaccessible, celui du milieu permet de pêcher et de récolter des coquillages, d’installer son lieu de vie, celui du haut épouse les cieux, se remplit de brume et laisse passer de singuliers nuages. Aucune salle n’est identique, chacune est remplie d’une multitude de statues de marbres. Ces statues (un peu comme dans le livre de Jacques Abeille) possèdent une singularité qui n’est pas que minérale : elles représentent, symbolisent mais ont aussi une sorte de vie hiératique (nul besoin d’en dire plus, c’est au coeur de l’histoire). Le Palais est plein de ressources : algues, coquillages, coraux dans les salles inférieures, eaux fraiche et limpide dans certaines salles supérieures. Des oiseaux marins y nichent volontiers comme ce fameux albatros. L’ensemble est soumis à un régime de marées de plus ou moins grande amplitude. On peut donc y vivre et même plutôt bien, je suis sûr que certains d’entre vous aimeraient y jeter un coup d’oeil. Mais, chut, il faut savoir comment y accéder. Et existe-t’il vraiment ? Et si oui, pour qui et pour quoi ? Piranèse s’y plait bien, lui. Il se décrit comme un savant chargé d’explorer et de répertorier les lieux et il tient un journal. Il est aussi à la recherche du Grand Savoir des Anciens… Il dit avoir trente-cinq ans et il aime se parer de jolis colifichets minéraux et organiques. Il n’est pas tout seul. Deux fois par semaine, il a un rendez-vous expéditif avec l’Autre. Celui-ci a les traits d’un hommes matures, savant et acariâtre. Il est tiré à quatre épingles. Les autres habitants sont des…squelettes humains que Piranèse a nommé (L’homme Boîte-à-Biscuits etc.). Voilà donc le tableau. On est forcément un peu désorienté au début ,mais on sort bien vite de ce qu’on pensait être une trame onirique. Il ne faut donc absolument pas se décourager, ce livre est une merveille. C’est l’Autre qui a nommé Piranèse (qui ne se souvient plus de son nom de naissance). On devine bien pourquoi : Le Piranesi est un fameux graveurs vénitiens du XVIIIe siècle dont vous avez déjà surement aperçu les estampes incroyables, méli-mélo d’escaliers qui ne mènent nulle part, pont-levis, môles aux chaines, arcs gothiques, poulies et cordages et de tout petits humains perdus dans cette immensité effrayante et…labyrinthique. Seize estampes. Seize. Et voici notre troisième personnage que Piranèse va logiquement nommer…16 ! Cette rencontre, ainsi que la découverte d’une partie de son propre journal (qu’il avait oublié et qui était caché), dévoilent une vérité effroyable. "Une Pleine Lune occupait le centre de l'encadrement de la Porte à un Battant, inondant la Salle de lumière. Les Statues étagées sur les Murs gardaient la pose comme si elles venaient de se tourner face à la Porte, leurs Yeux de marbre rivés sur la Lune. Elles étaient différentes des Statues d'autres Salles, ce n'étaient pas des sujets isolés, mais la représentation d'une Foule. Ici, en voilà deux enlacées; là, une avait sa Main sur l'Épaule d'une autre devant elle pour mieux voir l'astre; ici encore, un Enfant cramponné à la Main de son Père. Il y avait même un Chien qui - peu intéressé par la Lune - se dressait sur ses Pattes Arrière, les Pattes Avant posées sur la poitrine de son Maître, pour implorer son attention. Le Mur du Fond était une accumulation de Statues- loin d'être soigneusement rangées en Gradins elles formaient une multitude chaotique et disparate. Au premier rang d'entre elles, un Jeune Homme debout et baigné de Clair de Lune, le visage plein d'allégresse, une Bannière à la Main. Je retins mon souffle. Fugitivement, j'eus une vision de ce à quoi le Monde pourrait ressembler s'il comptait des milliers de gens au lieu de deux." Ce thriller fantastique est d’une stupéfiante beauté et d’une richesse déroutante. Car écumant la vague narrative, des thèmes philosophiques se densifient et éclaboussent le lecteur, tente de le noyer pour mieux le repêcher et au final l’abandonner à lui-même. Citons-en quelques uns, ce n’est pas exhaustif : Comment jouir d’une liberté à laquelle on n’a pas contribué ? La préservation de la solitude, de la contemplation n’est-elle pas souhaitable plutôt que la multiplication des relations et des échanges ? Quel est le rôle des rituels dans la prévention de la dépression ? Qui, dans ce récit, manipule qui : vous, moi, Piranèse, l’auteure, les Statues, Dieu, Platon et sa Caverne, 16 etc. ? Quelle responsabilité ont les réseaux sociaux dans l’amnésie culturelle généralisée ? Et puis comment se fondent, se désagrègent et se rassemblent nos identités plurielles ? On peut, bien sur, faire l’impasse de tout cela, de toutes ces questions. Mais alors je vous propose un rendez-vous pour une petite randonnée dans les Vestibules et les Salles du Palais. Pensez à prendre votre poncho imperméable, votre lampe frontale et du hachis parmentier lyophilisé (ou n’importe quoi d’autre si vous n’aimez pas les moules) et surtout, surtout, munissez-vous d’un carnet et d’un stylo bien costaud (téléphone portable interdit). À très vite !