Silas Marner : Le livre de George Eliot

Silas Marner, jeune tisserand, s'enfuit de la communauté religieuse évangélique dans laquelle il vit, après avoir été accusé à tort, trahi par son meilleur ami et quitté par sa fiancée. Il s'installe plus au sud, à Raveloe, non loin d'une carrière abandonnée et y mène pendant des années une vie solitaire, en marge de la société, sans contacts avec les habitants du village, hormis ceux qu'il entretient pour le commerce florissant de ses tissages. Il accumule une grande quantité d'or qu'il cache dans sa modeste demeure et qui lui sera bientôt dérobée. Le personnage le plus important de Raveloe est le "squire" Cass, un nobliau propriétaire de vastes terres et fermes. Veuf, il a élevé seul ses fils. Les deux ainés qui vivent dans l'oisiveté, Godfrey et Dunstan le plus dépravé, entretiennent des relations exécrables. Dunstan connaît le sombre et mystérieux passé de son frère et exerce sur lui une forme de chantage, le menaçant de révéler ce qui pourrait interdire un mariage convoité. Vous imaginez aisément que les trajectoires de ces différents protagonistes vont bientôt se rencontrer et que leurs histoires vont être intimement et savamment mêlées et c'est ce qui fait, entre autres, toute la subtilité et la puissance romanesque de ce livre. Je ne narrerai pas plus avant le déroulé des évènements afin de ne pas dévoiler les ressorts de l'intrigue. Evoquons dans un premier temps le personnage de Silas Marner, frappé, sur tous les plans, sous le sceau de l'étrangeté : un physique évanescent, des yeux myopes et exorbités, une maladie énigmatique se traduisant pas des absences, que l'on pourrait rapprocher des signes de l'épilepsie, une religion d'origine s'apparentant à un mouvement sectaire, des dons de guérisseur et d'herboriste. Il travaille inlassablement sur son métier à tisser, et terrassé par la solitude et la douleur, se réfugie dans l'amoncellement et la contemplation de ses piles d'or. Il est perçu comme un étranger dans la contrée où il est arrivé, et il ne cherche pas à sortir de cet état mais bientôt la "providence" va mettre sur son chemin une orpheline aux cheveux d'or qui va changer sa destinée. George Eliot a également peaufiné la personnalité de Godfrey, ses états d'âme, son tiraillement entre le désir de se délivrer de ses errements passés et celui de conquérir la belle Nancy, son besoin impérieux de racheter ses péchés. Bien que l'autrice se soit éloignée de la religion, celle-ci est présente dans le récit, imprégnant à la fois les moeurs et les coutumes de ce milieu rural, et les comportements et les valeurs de ses habitants. Un magnifique conte, à la construction brillante, ancré dans les réalités sociales de la campagne anglaise sous l'ère victorienne, alliant acuité psychologique et portée philosophique. Deux petits bémols, la traduction qui rend difficile, du fait de lourdeurs et de passages incompréhensibles, l'entrée dans le roman, ainsi que la préface de Jean-Louis Curtis dans l'édition Folio que je possède, que je ne conseille pas de lire avant le livre car elle en révèle le contenu en détail.