Toute ma vie - tome 3 Journal intégral - 1946-1950 : Le livre de Julien Green

Le troisième volume du Journal Intégral de Julien Green, à première vue, pourrait appeler les mêmes remarques que les deux précédents, à peu de variantes près. Revenu en France après l'exil que la guerre lui imposa, l'auteur reprend en gros la même vie, fait face aux mêmes combats entre la chair et l'esprit, entre sexualité et religion, rencontre écrivains, critiques et hommes de théâtre célèbres dans ces années-là. Mais le journal de 1945-1950 ne répète pas à l'identique celui des années précédentes : l'auteur mesure en lui le poids des années, l'apaisement progressif de la chair, et fait face avec courage à la perspective de redire inlassablement les mêmes choses de sa vie, ce qui est immuable et s'impose à lui chaque jour. On oublie souvent de signaler que l'écriture d'un journal, surtout d'un journal que l'on souhaite publier de son vivant par extraits, et intégralement après la mort, réclame un travail de vérité, de franchise, d'honnêteté et d'humilité qui demande du courage. L'exigence de vérité oblige l'auteur à se montrer tel qu'il est, bête par moments, obsessionnel à d'autres, brillant parfois, agaçant quand il tombe dans le narcissisme pieux, naïf à d'autres moments, faute d'expérience ancestrale du catholicisme. Lire un journal, c'est fréquenter assidûment un homme et supporter ses défauts autant qu'admirer ses qualités. Parmi ces dernières, il y a la langue. On se plonge dans les pages du journal pour connaître enfin un français extrêmement pur, non encore souillé des anglicismes et des vulgarismes petit-bourgeois qui foisonnent aujourd'hui. On revit dans ce livre les angoisses fort concrètes de la Bombe, la peur de la troisième guerre mondiale toujours sur le point d'éclater. Green est pourtant un intellectuel qui vit à une époque non encore dévastée par l'omniprésence du journalisme à sensation. On accompagne un littérateur qui ne se contente pas d'écrire, mais de lire finement et de juger les auteurs qu'il lit, aussi bien Dostoïevski que Jean Genet, ou encore Sartre et Camus. Enfin, les deux pôles de son existence, l'amour du monde sensible et la tension vers Dieu, nous valent des moments absolument remarquables qui justifient à eux seuls la lecture des mille pages de ce volume.