Vers l'écologie de guerre - Une histoire environnementale de la paix : Le livre de Pierre Charbonnier

Dans "Abondance et liberté", Pierre Charbonnier met en évidence l'occultation délibérée, depuis le début de l'ère industrielle, des préjudices environnementaux et du risque climatique résultant de l'exploitation illimitée des ressources naturelles par nos sociétés productivistes, tant en régime capitaliste qu'en régime collectiviste. Dans "Vers l'écologie de guerre", Pierre Charbonnier poursuit son analyse en partant cette fois-ci du lendemain de la deuxième guerre mondiale, période pendant laquelle la croissance de l'économie a connu une "grande accélération". Cette accélération a permis d'entretenir une période de relative paix mondiale qui trouve son principal ressort dans l'exploitation des énergies fossiles. Les énergies fossiles sont bon marché et facilement exploitables, elles expliqueraient la paix par la jouissance d'une prospérité inouïe par les habitants des grandes puissances. Mais le paradigme d'une "paix de carbone" nous mène dans une impasse en causant un changement climatique et des pollutions qui seront probablement la source de nouveaux conflits mondiaux ou locaux (accès à l'eau douce, désertification, ...). Pierre Charbonnier pose l'hypothèse d'un changement de paradigme qui serait à l'oeuvre depuis l'engagement pris par la Chine le 22 septembre 2020 devant l'assemblée générale de l'ONU d'atteindre son pic d'émissions en 2030 et de devenir neutre en carbone à l'horizon 2060. Ainsi, une grande puissance construit sa puissance également au moyen de sa participation aux efforts climatiques. Ce nouveau paradigme pourrait permettre la création d'une coalition d'états reliés par des engagements climatiques forts. Ce mouvement pourrait rallier les pays du Sud, grands perdants actuels du changement climatique. Les états, a fortiori les grandes puissances, qui resteraient à l'écart de cette coalition, se priveraient des bénéfices de ce rapprochement. Ce mouvement consacre ce que l'auteur appelle l'"écologie de guerre" qui caractériserait les années à venir. On sent l'inspiration de Bruno Latour dans cette idée ("Où atterrir?" (2017)). N'est-il cependant pas naïf de penser que la Chine s'engage formellement dans la lutte contre le changement climatique sans arrière-pensée hégémonique? L'Europe, qui veut créer un cercle vertueux pour le climat et de l'environnement, ne risque-t-elle pas de tomber dans le piège d'une telle posture? L'ancien paradigme, qui aboutit tout au plus aux discours incantatoires des COP climat, est vu comme un immense 'greenwashing' en décalage avec le relatif immobilisme des états. Un nouvel équilibre des puissances mondiales se constituerait ainsi, dans lequel l'engagement climatique serait un signe de pouvoir. Il reste néanmoins, et Pierre Charbonnier le vise dans son ouvrage, que les états qui ne jouent pas le jeu bénéficient des efforts des états engagés sans faire d'effort équivalent ('free riders'). Des mécanismes comme la taxe carbone aux frontières (CBAM) les sanctionneront mais cette sanction risque de ne pas être efficace sur un état isolationniste. Pierre Charbonnier aborde le thème de la justice en toute fin de son ouvrage. L'"écologie de guerre" doit assumer des impératifs géopolitiques liés à la préservation de la planète. Cela impliquera des choix antiéconomiques, reconnait-il. Les états du Sud, premières victimes du dérèglement climatique et environnemental, ont besoin d'être aidés à se développer sans augmenter le changement climatique et la dégradation de l'environnement. Prendre au sérieux l'"écologie de guerre" implique de trouver une clé juste pour assurer la "redistribution des risques et des bénéfices liés au modèle écologique". Cette clé reste à trouver. Il ne s'agit plus de géopolitique cette fois, mais de droit. La Cour de Justice Internationale devrait délivrer, en 2025, un avis sur cette question (https://www.icj-cij.org/fr/affaire/187).