Khalil : Le livre de Yasmina Khadra

C'est le premier livre de cet auteur que je lis. Une amie me l'avait donné il y a environ deux ans mais il s'était retrouvé au milieu de ma pile à lire. C'est en cherchant un livre avec un auteur ayant un pseudonyme pour un challenge que je l'ai ressorti. Même si j'ai trouvé la lecture déroutante, ce roman est intéressant, presque 10 ans après les attentats.

Un roman fidèle au style de Yasmina Khadra ! Comme souvent, l’auteur s’intéresse aux gens en marge, ceux qu’on ne regarde pas vraiment, ceux qu’on laisse de côté, ceux dont on a peur. Khalil, c’est un peu ça : un jeune perdu, manipulé, pris dans un tourbillon qu’il ne comprend pas, même si il croit que c'est le cas. Et c'est là où Yasmina Khadra est très fort : en nous plongeant dans la tête de ces personnages marginaux, souvent incompris, pour essayer de comprendre leur parcours, sans pour autant les excuser. Dans ce roman, on suit Khalil à travers les attentats de novembre 2015. Mais ce qui est frappant, c’est la manière dont l'auteur montre la fragilité de ce personnage. Khalil n’est pas décrit comme un monstre, comme on décrit d'habitude ces terroristes embrigadés, qu'on déshumanisent. Khalil est avant tout un jeune homme influencé par des idéologies qu’il ne maîtrise pas. Qui se laisse influencer par son ami, son entourage et des personnes qui exercent une pression morale sur lui. Mis de côté par sa famille, il n'est là fierté de personne. Il a l'impression de n'avoir jamais rien accompli, il ère ; vagabondant, d'un travail à l'autre, trimant sans savoir pour quelles raisons. En subissant un racisme ambiant, dans un environnement qui abonde d'injustice... C’est un thème que Yasmina aborde souvent, celui de l’individu broyé par la société, perdu dans un monde qui lui échappe. Le style est toujours aussi percutant, et même si certains événements dans l’intrigue m’ont un peu gênée (trop de coïncidences un peu grosses, à mon avis), on reste pris dans le récit, au point de ne pas vouloir le lâcher. Mais la fin m’a laissé une impression bizarre, presque trop « lissée » par rapport à la dureté du sujet.

Dès la première page du roman nous sommes immergés dans la tête d’un jeune terroriste, plongés dans la préparation des actions destinées à semer la mort, confrontés au rôle de chacun des passagers de la voiture, à la minutie de la préparation, à l’absence d’émotion. Khalil a un problème : sa ceinture d’explosif ne fonctionne pas dans le RER bondé qu’il était chargé de faire sauter. Nous restons dans sa tête, bel artifice de l’auteur pour mieux nous faire saisir la façon dont on transforme un jeune plutôt fragile, plutôt perdu, en une bombe ambulante exaltée par le martyre. L’engrenage est enclenché. Personne ne peut changer quoi que ce soit, famille, amis, tout est balayé. Cette plongée dans la tête de Khalil a plus de force que nombre de documentaires et analyses sociologiques. C’est la force de la littérature que de nous confronter à l’incompréhensible, de vivre de l’intérieur ce qui nous est irréductiblement étranger. De comprendre aussi, peut-être, que tant d’attitudes inconscientes du racisme ordinaire peuvent faire le berceau de la terreur. Ce roman ne se réduit pas à des jeunes paumés aux familles dysfonctionnelles ; les différents djihadistes impliqués dans la vie de Khalil couvrent un éventail sociologique et géographique étendu, comme Hédi, son colocataire chargé de le servir et surtout de le surveiller. Difficile d’oublier que la plupart des terroristes islamiques sont issus des classes moyennes. Je ne suis pas sûre que le roman de Yasmina Khadra calmera les angoisses des lecteurs face au terrorisme, mais il donnera un éclairage qui leur manquait dans un roman dont la force de l’écriture accompagne parfaitement son sujet.