Roma Aeterna : Le livre de Robert Silverberg

Roma Æterna de Robert Silverberg est, à mes yeux, l’une des dystopies les plus fascinantes et abouties que j’ai lues. Ce n’est pas une dystopie classique, où un régime totalitaire écrase l’individu dans un futur sombre. Ici, la dystopie naît du poids de l’Histoire elle-même : que serait devenu le monde si Rome n’était jamais tombée ? Cette simple question donne naissance à un univers d’une richesse vertigineuse, où l’Empire perdure à travers les siècles, inaltérable et pourtant gangrené par ses propres contradictions. Ce qui m’a particulièrement frappé, c’est la manière dont Silverberg fait évoluer son Empire sans jamais le figer. Il n’idéalise pas Rome : au contraire, il en explore les travers, les stagnations, les crises internes, montrant à quel point un empire éternel n’est pas nécessairement synonyme de grandeur continue. La rigidité d’un monde où la Renaissance n’a jamais eu lieu, où la science progresse à un rythme étouffé par la tradition, donne une sensation d’asphyxie presque palpable. C’est une vision subtilement oppressante, où l’Histoire elle-même devient une prison. Mais ce que j’ai trouvé encore plus brillant, c’est la construction du livre en une série de récits qui traversent les âges. Chaque époque apporte un regard différent sur cet Empire immortel, et on sent peu à peu le poids du temps s’accumuler, les tensions s’accroître. C’est une fresque magistrale, presque mélancolique, qui montre que l’éternité n’est pas synonyme de progrès, et que le véritable drame d’une civilisation, ce n’est pas forcément sa chute, mais son incapacité à se réinventer. Pour moi, Roma Æterna est une dystopie magistrale parce qu’elle ne repose pas sur la peur d’un futur totalitaire, mais sur l’angoisse d’un monde figé dans sa propre grandeur passée. Une uchronie qui fait réfléchir sur la nature du pouvoir, de l’Histoire et du changement.