L'Oeuvre : Le livre de Émile Zola

Je n'avais plus lu de livre de Zola depuis plus de 40 ans et je suis ravie de ma lecture. Une description du monde artistique, de la peinture, de la sculpture et d'autres arts de la fin du XIXè siècle. Une très belle description de Paris, la fascination du peintre pour l'île de la Cité, la campagne normande. La folie dans laquelle sombre le peintre. Je pense lire d'autres livres des Rougon-Maquart.

Claude Lantier est artiste peintre, son rêve est de faire partie de la caste des impressionnistes et connaître le même succès que les plus grands. Une chance s'offre à lui par l'espoir d'exposer une oeuvre au salon des refusés. L'homme y mettra tout son coeur, son âme pour accéder à ce rêve mais Zola, en conteur implacable et réaliste met des bâtons dans les roues de son personnage principal. Du Zola dans toute sa "splendeur" où le malheur se mèle aux joies plus simples.

La jeunesse et ses espérances, l'idée de refaire le monde, celui de l'art en particulier, de mettre à bas les vielles valeurs et sa routine académique, puis pour certains à force de concessions, rentrer dans le rang, prendre le sens de la marche, et faire de cette " capitulation de conscience d'artiste " un objet de réussite. Claude Lantier lui, ne capitulera pas, sa peinture et son art resterons une passion absolue voir une obsession jusqu'à la fin, quitte à sacrifier sa réussite, son âme ou sa vie sentimentale. C'est une œuvre subtile et très personnelle ou Zola parle de lui même lorsqu'il explore le manque d'inspiration, les amitiés et ses apparences souvent trompeuses, et surtout lorsqu'il explore le conflit artistique qui opposa les naturalistes et les romantiques, ici transposé de la peinture à la littérature.

Publié en 1886, L’Oeuvre nous introduit dans les grands salons parisiens, notamment le Salon des refusés de 1863 où Claude Lantier expose pour la première fois son œuvre Plein Air. C’est intéressant de lire le quotidien de ces artistes qui fréquentent les académies des beaux-arts et de ceux qui tentent par tous les moyens de se démarquer en faisant évoluer leur art. La misère n’est pas très loin pour ceux qui comme Claude, s’acharne à pourfendre l’académisme et à mettre en branle les futurs impressionnistes. «  Les défaites de l’argent étaient donc aussi lourdes que celles de l’art? » Zola décrit magnifiquement la cruelle société qui rit des nouveaux peintres, qui traite de farce les mouvements qui remettent en cause une idée unique de l’art. Que ce soit la peinture, la sculpture, l’architecture, l’auteur met la lumière sur la rage qui s’amplifie entre les anciens et les modernes. « L’Oeuvre illustre donc bien une époque artistique en transition. » Claude élabore une théorie sur la peinture en plein air et après un salon exécrable, fuit la grande ville pour se retrouver en province et vivre d’amour et d’eau fraîche en essayant de ressourcer son talent. Cette partie de la vie de Claude Lantier ressemble étrangement à une parti de de la vie de Claude Monet, un grand ami de Zola à l’époque. Claude s’inspire de Christine, sa conjointe devenue au fil du roman, son épouse, pour faire une œuvre gigantesque qui sera promise au prochain salon. Sa muse représentée sur la toile deviendra son talon d’Achille. Car cette femme qui n’existe que dans sa tête, prendra toute la place dans son art et dans son cœur. Christine qui se dévoue entièrement à son homme devient rancunière de l’œuvre ; elle gâche sa vie et néglige son enfant. Claude glisse alors lentement vers la folie. Le travail le mine, ses yeux deviennent fous et son corps s’emballe. Ses amis de toujours se font plus rares et bêtement, certains cessent de le supporter et amplifient son malaise par leurs ricanements. « C’était le sauve-qui-peut, les derniers liens qui se rompaient, dans la stupeur de se voir tout d’un coup étrangers et ennemis, après une longue jeunesse de fraternité. » « Jamais on ne s’est tant querellé et jamais on n’y a vu moins clair que depuis le jour où l’on prétend tout savoir. » Ce roman très personnel de Zola est riche en histoire des débuts de l’impressionnisme mais d’une tristesse sans nom. C’est poignant d’imaginer cette faune urbaine qui se parasite quasiment les uns les autres et qui subit les affres de la création. Il faut dire que l’auteur n’y va pas de main morte avec Lantier et ses acolytes. Il n’y a que Sandoz, le pendant de Zola, qui se tire mieux d’affaire. Comme quoi la littérature paye mieux son homme que la peinture à cette époque! «  Si les choses, qui ont l’éternité, oubliaient si vite, est-ce qu’on pouvait compter une heure sur la mémoire des hommes? »